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Je ne redirai pas ce qui a déjà été dis par mes collègues, 1815 à été abordé et un certain scepticisme à été évoqué par Antoine Mula la semaine dernière1. Charles Mansera quant à lui a établi la semaine d’avant un article très complet défendant la vision d’avenir d’une Suisse Neutre dans un contexte international, opposé aux excès impériaux et globalisants de certains participants2. Je vous les conseille vivement de car ces deux articles lu ensembles offrent un bon aperçu des tensions qui peuvent exister vis-à-vis de cette fameuse neutralité. Pour ma part je rejoindrai une position sceptique quant à celle-ci, pointant du doigt certaines bévue d’une Suisse prétendument neutre qui toutefois, si elle compte garder sa place privilégiée de table de discussion à l’internationale doit continuer de fournir des efforts afin de garder une certaine apparence de neutralité. C’est peut-être tout ce qu’on peut demander d’une nation — D’un corps composé de millier d’âmes aux opinions et jugements multiples et parfois radicalement opposés. Regardons historiquement :

Lors de la deuxième guerre mondiale la Suisse avance une stratégie de neutralité active. En plus de se déclarer neutre et passivement laisser les états s’écraser les uns les autres en agitant sa jolie neutralité elle offre une disponibilité diplomatique auprès des États en conflits et de l’aide humanitaire à l’internationale.3 Cette neutralité qui se voit est peut-être une partie de ce qui a évité à la Suisse le sort d’autres états neutres envahi pendant la guerre, les Pays-Bas ont notamment abandonner leur politique de neutralité après 1945 voyant que celle-ci ne les a pas aidé en 1940 contre l’Allemagne Nazie. Cela dit après 1945 la Suisse qui reste neutre doit justifier au monde pourquoi sa jolie neutralité est couverte de taches indiquant qu’elle a eu des liens très étroits avec le troisième Reich. La France et les États-Unis, — deux gros balourds bien tâchés — étant particulièrement menaçant avec leurs tronches couvertes de sang allemands, ont mené le gouvernement helvétique à réfléchir à une stratégie pour redorer son blason et fissa.4 La guerre froide s’installe petit à petit.

Petit Max Petitpierre, ministre des Affaires Étrangères, conceptualise quatre Max-imes en 1955 qui devraient régir la politique extérieure de la Suisse à savoir : Neutralité, solidarité, disponibilité et universalité. La neutralité est la première de celle-ci et à raison car c’est la seule qui prédate explicitement les autres. La solidarité implique évidement d’apporter de l’aide à qui en a besoin, la disponibilité implique de devoir agir et être prêt à faire usage de cette neutralité et solidarité de manière effective en étant disposé à accueillir des discussions et des débat diplomatiques. La recette se corse quand on y ajoute l’universalité qui se mélange moins bien.

Définie comme suit : « L’universalité implique pour sa part que la Suisse cherche à entretenir, dans la mesure du possible, des relations diplomatiques avec tous les États, sans discrimination et indépendamment de tout système d’alliances. ». 5 Il en découle ici une obligation pour la Suisse de reconnaître les nouveaux États, peu importe l’idéologie politique de ceux-ci. C’est une situation complexe car évidemment la Suisse va avoir ses favoris étant donné les pressions qui sont faites sur elle dans les années 50 à 70 et à l’époque la neutralité Suisse va être testée par les questions des états divisé, la Corée et le Vietnam. Ces deux cas montrent les limites de la neutralité Suisse. D’un point de vue économique et idéologique elle appartient malgré elle au bloc occidental et donc aura par défaut des relations plus étroites avec les territoires du Sud de la Corée et du Vietnam, sous influence américaine. Ces relations entravent l’universalité et obligent la confédération à adopté une position difficile. Bien qu’a défaut il y a toujours la possibilité du silence comme le montre les Instruction[s] à l’ensemble des délégations suisses dans les conférences internationales au sujet de l’admission et de l’exclusion de certains pays. Datées du 10 avril 1968, ces instructions sont les suivantes :

« Vu la particularité de cette situation, il est donc préférable que les délégations suisses ne se prononcent ni pour ni contre l’une ou l’autre “partie” de la Corée ou du Vietnam, mais qu’elles s’abstiennent sans explication de vote. »6

La Suisse est à l’époque (1968) économiquement intéressée par la Corée du nord qui semble être un partenaire économique disposant de nombreuses matières premières et de ressources énergétique. Cela dit la Suisse doit pour elle-même rester claire « Du point de vue économique, notre collaboration ne devrait, en revanche, pas être poussée au point de risquer de compromettre nos relations économiques avec la Corée du Sud qui constitue déjà pour nous un client intéressant {…}. C’est pourtant ce qui pourrait arriver, au cas où l’on procéderait à la reconnaissance diplomatique de la Corée du Nord. » 7

Ici nous avons un exemple clair des intérêts économiques de la Suisse triomphants sur sa neutralité. La Suisse attendra que la Suède, qui est aussi neutre, en 1973 reconnaisse la Corée du Nord. Avant de faire de même, la suisse restera attentive à la réaction sud-coréenne et américaine avant de franchir le pas elle aussi en 1974 voyant que la réaction ne fut pas désastreuse.

Pour ce qui est du Vietnam historiquement la Suisse disposait d’une représentation dans l’ancienne Indochine française à Saigon (Actuellement Hô Chi Minh-ville ). Donc il s’en suit que « dès le 1er avril 1955, la Suisse n’est plus représentée au Viêt Nam qu’à Saigon »8 Donc seulement au Sud-Vietnam. Il n’y aura pas d’équivalent au Nord-Vietnam avant le début des années 70 alors qu’en 1962 la suisse va octroyer à la république du Vietnam (sud Vietnam donc) le droit d’établir une ambassade à Berne.9 Cette préférence Suisse n’échappera pas aux États-Unis dont le président Lyndon B. Johnson envoie une lettre au conseiller fédéral Willy Spühler enjoignant la Suisse de soutenir l’effort étasunien. À l’intérieur :

« I know that your government has already signalled its interest and concern by giving assistance. I now ask that you give most earnest consideration to increasing that assistance in accordance with the great humanitarian tradition of your country. » 10

« Je sais que votre gouvernement à déjà signalé son intérêt en ce qui concerne l’apport d’aide. Je demande maintenant que vous considériez de la plus honnête façon d’augmenter cette assistance en accords à la grande tradition humanitaire de votre pays. »

Le gros géant américain qui devrait faire autant attention à son poids que la où il met les pieds fait référence ici au don de 30 microscopes que la Suisse à fait à l’université de Saigon.11 Je vous laisse décider si c’est un signal suffisant que la Suisse est prête à aider les Etats-Unis ou si c’est une tentative incroyable de pied-dans-la-porte de la part du président américain. Quoi qu’il en soit ces microscopes feront que la Suisse figurera dans une liste des pays soutenant la république du Vietnam. Le cas du Vietnam montre à quel point les considérations économiques pèsent lourd dans la balance de décision Suisse car là où pour le cas de la Corée la Corée du nord était un partenaire intéressant, le Vietnam du Nord ne l’est pas (notamment parce que la Suisse à peur que ses investissements au nord du Vietnam ne se fassent nationaliser par le gouvernement d’Hô Chi Minh) et donc la Suisse traîne les pieds. Elle tentera d’accueillir les accords de Paris qui ont eu lieu en 1973, mais comme vous pouvez le devinez au nom de ces accords ses efforts ne furent pas fructueux. La Suède a reconnu en 1969 le Nord Vietnam sans répercussion américaine et donc la Suisse s’est sentie libre de faire de même en 1971, rééquilibrant un rapport avec la maxime d’universalité et de neutralité, jusque-là légèrement « mise de côté » dirons-nous.12

Ainsi la Suisse montre ici tout au plus une intention d’être neutre ou une neutralité limitée par sa situation. Cette apparence ou intention l’amène à être sensiblement moins impliquée pour « l’occident » que ses pays voisins mais elle reste profondément impactée par la géopolitique de sa région. Quand elle poursuit la neutralité c’est aussi pour son propre intérêt. Ceci explique notamment les rapports qu’elle entretien avec les forces en guerre actuellement. La Suisse essaye de limiter son implication autant qu’elle le peut étant donné ce a quoi s’attendent ses voisins et ses partenaires économiques majeurs. Ainsi je contredirais ceux qui diront que la neutralité est une « chimère ». Non, ce n’est pas une « chimère », c’est une valeur Suisse qui se manifeste et entre en conflit avec ses autres intérêts. C’est une stratégie géopolitique qui lui est traditionnelle et qui lui est singulière dans la façon dont elle se déploie et s’utilise. Pour l’instant elle lui réussit donc je ne la vois pas arrêter prochainement. Les prises de positions Suisse resteront pour la plupart timides, en après-coup et occasionnelles lorsqu’elles entreront en conflits avec ses autre intérêts (comme actuellement). Pour reprendre une formulation de mon autre collègue « Si la Suisse souhaite garantir sa neutralité » , elle doit savoir combien elle lui rapporte et à quel prix ceux qui la dirige sont prêts à la vendre. Vous m’excuserez ce langage commercial car l’affaire est également idéologique cependant je finis : La Suisse étant tiraillée en son sein par les différents groupes d’influence extérieur et intérieurs à elle-même, doit connaître pour quel groupe la neutralité Suisse compte et pourquoi et à quel point. La Suisse ne peut pas être neutre quand on la force à être impliquée et sans doute la Suisse ne devrait pas être neutre absolument à chaque fois. Tout est une question de détails ici et cela ne peut être réglé avec des réflexions de surfaces. La route à suivre est trouble et il faudra beaucoup d’ingéniosité pour la traversé.

 

1 https://pluripol.ch/article-neutralitat/

2 https://pluripol.ch/article-pour-une-neutralite-westphalienne/

3 FLEURY, Antoine, « De la neutralité “fictive” à la politique de neutralité comme atout dans la conduite de la politique étrangère », Politorbis, vol. 44(1), 2008, p. 6

4 BOTT, Sandra, HANHIMÄKI, Jussi M., SCHAUFELBUEHL, Janick Marina, WYSS, Marco,
« Introduction : a tightrope Walk – neutrality and neutralism in the global Cold War », in BOTT, Sandra,
HANHIMÄKI, Jussi M., SCHAUFELBUEHL, Janick Marina, WYSS, Marco, Neutrality and
Neutralism in the Global Cold War : between or within the blocs ? , London : Routledge, 2016, p. 2

5 GAFFINO, David, Autorités et entreprises suisses face à la guerre du Viêt Nam : 1960-1975, op.cit.,
p. 21

6 « Instruction du chef de section du DPF François Pictet à l’ensemble des délégations suisses dans les conférences internationales au sujet de l’admission et de l’exclusion de certains pays », 10 avril 1968, https://dodis.ch/33555

7 « Note du chef de section Jean-Eugène Töndury du DPF sur l’état des intérêts économiques en Corée
du Nord et du Sud », 27 juin 1968, https://dodis.ch/33551.

8 GAFFINO, David, Autorités et entreprises suisses face à la guerre du Viêt Nam : 1960-1975, op.cit., p. 50

9 SCHAUFELBUEHL, Janick Marina, WYSS, Marco, BOTT, Sandra « Choosing Sides in the Global Cold War : Switzerland, Neutrality, and the Divided States of Korea and Vietnam », op.cit., p. 1020.

10 « Lettre du président américain Lyndon Johnson au conseiller fédéral chef du DPF Willy Spühler », 25 juillet 1965, in GAFFINO, David, Autorités et entreprises suisses face à la guerre du Viêt Nam : 1960-1975, Neuchâtel : Ed. Alphil, 2006, p. 98-99

11Cérémonie de remise de 30 microscopes à la Faculté de Pharmacie de Saigon https://dodis.ch/31843

12 SCHAUFELBUEHL, Janick Marina, WYSS, Marco, BOTT, Sandra « Choosing Sides in the Global Cold War : Switzerland, Neutrality, and the Divided States of Korea and Vietnam », op.cit., p. 1024-1025

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