Source image : Eric Roset, SSp-VPOD.

Le 25 septembre, la Suisse sera appelée aux urnes pour voter, entre autres, sur un double objet en rapport avec l’Assurance Vieillesse et Survivants : la hausse de la retraite des femmes à 65 ans d’une part, l’introduction d’un « âge de départ à la retraite flexible » d’autre part, et la hausse de la TVA de 0.4 point. À noter que si un seul des objets est refusé (la hausse de la TVA ou la réforme de la loi sur l’AVS), le projet tombe à l’eau. Et c’est tant mieux si cette double réforme tombe à l’eau, tant elle soulève des injustices à l’égard des plus précaires – et pas seulement des femmes.

 

Révisée pour la dixième – et dernière – fois en 1997, toutes les réformes visant à « pérenniser » l’AVS ont été rejetées par le peuple depuis lors. Si le parlement est parvenu à augmenter l’âge de la retraite des femmes à 63 ans en 2001, puis 64 ans en 2005, la situation est depuis lors restée la même. Le projet retapé pour la sixième fois propose d’une part la hausse de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans – qui permettrait d’économiser une année de rente sur la moitié de la population –, l’introduction d’un âge flexible de la retraite – permettant de commencer à toucher l’AVS au minimum à 63 ans et au maximum à 70 ans – et la hausse de la TVA à l’équivalent de 10 centimes pour CHF 100.— de courses[1].

Le principal argument des personnes en faveur est simple, simpliste même : il y a de plus en plus de retraités pour de moins en moins d’actifs et on vit de plus en plus longtemps. Ainsi, on estime que dans les années 1960, il y avait six actifs pour un retraité ; aujourd’hui, ce ratio a été presque divisé par trois. Si ces chiffres sont exacts, ils ne sont pas contextualisés : qu’est-ce qu’un « actif » exactement ? Une résolution de l’Organisation Internationale du Travail de 1982 établit que la « population économiquement active » comprend toutes les personnes fournissant de la main-d’œuvre. Une définition très large et complexe en réalité, celle-ci intégrant notamment les personnes sans emploi[2].

Il faut se rappeler d’une chose : la Suisse n’est pas connue pour être un exemple de progressisme et de liberté de la femme. En particulier dans les années 1960 : en réalité, c’est un tiers seulement des femmes qui travaillent contre deux tiers pour les hommes ; ces chiffres se sont radicalement modifiés depuis les années 1990 pour atteindre un pic de 68.6%, respectivement 74.5% pour les hommes et 62.8% pour les femmes[3]. C’est-à-dire qu’on travaille beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a 60 ans, sans compter que la productivité a augmenté avec le développement d’outils et l’amélioration de la production. En fait, les « six actifs des années pour un retraité » comprennent surtout des personnes qui ne travaillaient pas, au sens qu’elles n’étaient pas rémunérées.

En ce qui concerne l’espérance de vie, celle-ci s’établit en 2020, à la naissance, à 81.0 ans pour les hommes et 85.1 ans pour les femmes. Pour les personnes âgées de 65 ans, les femmes peuvent espérer vivre encore 22.2 ans et les hommes, 19.3 ans. Et pour les personnes de 80 ans, les femmes peuvent tabler sur 10.1 ans et les hommes sur 8.4 ans[4]. Cependant, si l’espérance de vie a fortement augmenté entre 2000 et 2010, on remarque que l’espérance de vie reste stable depuis lors. C’est-à-dire qu’on a l’air d’atteindre un plafond haut sur ce qu’il est humainement possible d’atteindre ; à quelques exceptions près, bien sûr, mais qui ne font pas légion. Dès lors une question doit être posée : doit-on se calquer sur l’espérance de vie à la naissance, à 65 ans ou à 80 ans pour calculer l’âge de départ à la retraite ? Et cette espérance de vie-là est-elle un bon calcul ?

Reprenons : étant donné qu’il faut 44 ans pour toucher une rente AVS pleine, on estime qu’il faudrait, comme cela a été proposé dans les années 2000, donner le droit à la retraite 16 ans avant la mort. Cela donnerait un âge de départ différent selon le calcul et fortement inégalitaire en prenant le strict chiffre de l’espérance de vie.

Source image : Antoine Mula.

En prenant simplement l’espérance de vie, l’âge de la retraite des femmes devrait atteindre au moins 69 ans et celle des hommes, 65. Si l’on s’en tient à ce seul critère, alors l’âge de la retraite n’est toujours pas assez élevé. Il y a également deux autres critères qu’il faut prendre en compte, si l’on veut vraiment se calquer sur l’espérance de vie pour calculer l’âge de départ à la retraite : le fait qu’en moyenne, un ouvrier vive entre 4 et 6 ans de moins que son patron[5]. Par ailleurs, une personne gagnant 13 000 francs par mois pourra beaucoup plus facilement prendre une retraite anticipée, et donc cesser de payer l’AVS, alors que cela sera quasiment impossible pour une personne gagnant quelques 4 000 francs par mois.

 

Sur ce point de l’espérance de vie, il reste un dernier critère : l’espérance de vie en bonne santé. En 2017, elle s’établissait en Suisse à 70.7 ans pour les hommes et 71.7 ans pour les femmes. On sait qu’un taux de travail plus bas et dans des métiers moins pénibles permet de garantir une meilleure santé. Par ailleurs, un meilleur salaire permet de se soigner plus facilement, les coûts de la santé n’étant alors pas un problème. Il y a fort à parier qu’avec une hausse de l’âge de la retraite, on notera une hausse des maladies du travail et une baisse de l’espérance de vie à moyen terme, en particulier de l’espérance de vie en bonne santé. Ce qui engendrera des coûts supplémentaires dans le domaine de la santé.

Maintenant, confrontons d’autres chiffres et d’autres réalités : celui du taux de chômage dans les différentes catégories de la population et l’employabilité des plus de 55 ans. Au 2e trimestre 2022, la Suisse comptait 4.1% de chômeurs parmi la population active – c’est-à-dire de personnes sans emploi ayant fait la démarche pour retrouver un emploi. Si la catégorie des moins de 25 ans est celle qui souffre le plus du chômage (8.8% en 2021), les 55-64 ans en souffre beaucoup moins (4.7%)[7]. Il faut contextualiser ce chiffre : d’après le SECO, seuls 1.0% des 15-19 ans et 2.9% des 20-24 ans se trouve dans une situation de chômage long – un chômage de plus d’un an. Pour les 55-59 ans, ce chiffre grimpe à 23.2% et pour les 60 ans et plus, on atteint le chiffre de 36.2%. Plus d’un tiers des seniors se retrouvant en chômage ne trouveront pas de travail avant au moins un an… s’ils en trouvent un[8]. Au contraire des moins de 25 ans qui, sortant d’études, devront galérer quelques mois avant de trouver un travail ; mais qui en trouveront un.

L’une des particularités de cette réforme, c’est l’introduction d’un âge flexible entre 63 et 70 ans. Concrètement, cela veut dire que si vous gagnez assez et que vous avez bien négocié avec votre caisse de pension et votre patron, vous pourrez partir à 63 ans, voire avant. En revanche, dans les secteurs peu syndiqués et où le rapport de force est défavorable à l’ouvrier, alors la retraite sera difficile à prendre avant 70 ans. Ce qui engendrera des surcoûts sur le chômage des aînés, dans la santé et fera augmenter la demande à l’aide sociale. Si les ouvriers survivent jusque-là, bien sûr. Par ailleurs, les places de travail occupées par ces seniors empêcheront les moins de 25 ans d’y accéder ; ce qui provoquera inexorablement une hausse du taux de chômage chez cette catégorie de la population, en particulier du chômage à long terme.

 

Dernier point ; la hausse de la TVA. Bien qu’elle soit légère, elle reste une mauvaise nouvelle : un bas salaire sentira beaucoup plus l’effet de la hausse de cette taxe qu’un haut salaire, qui ne verra pas de grandes différences à la fin du mois. En ajoutant l’inflation, cela augure de mauvais jours pour la classe moyenne et précarisée.

 

Si une réforme de l’AVS est nécessaire, celle-ci est carrément mauvaise et crée plus de problèmes qu’elle n’en résout : l’espérance de vie n’est pas un argument suffisant, surtout qu’elle s’est stabilisée depuis dix ans ; l’AVS, malgré les prévisions alarmistes de la droite, fait des bénéfices quasi continus depuis plusieurs années et possède des réserves de 50 milliards, largement finançables pour les 10 prochaines années. Cependant, elle n’assure plus le minimum vital comme elle était censée le faire. Cependant, plusieurs pistes de réflexions existent : microtaxe sur les transactions financières, hausse des cotisations sociales (une hausse de 0.15 point suffirait à combler le manque à gagner), fusion des deux premiers piliers (à noter que l’AVS est le système le moins discriminatoire pour les femmes), taxe des revenus du capital et des très gros héritages, etc. À l’image du débat sur l’initiative 99%, la richesse est là. Et je suis prêt à parier que notre pays est suffisamment riche pour que nous puissions baisser l’âge de la retraite à 62 ans pour tout le monde. Voire à 60 ans.

 

Le 25 septembre, ce sera 2x NON à AVS 21. Travailler jusqu’à la mort ne serait jamais la bonne solution.

 

 

[1] https://assurer-avs.ch/de-quoi-s-agit-il/.

[2] https://www.ilo.org/ilostat-files/SSM/SSM5/E/ANNEX.html.

[3] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/travail-remuneration/activite-professionnelle-temps-travail/population-active/taux-participation-marche-travail.html#:~:text=En%202021%2C%20le%20taux%20d,hommes%20(72%2C7%25).

[4] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/naissances-deces/esperance-vie.html.

[5] https://www.mobiliere.ch/assurances-et-prevoyance/offres-pour-les-entreprises/prevoyance-professionnelle/newsletter-prevoyance-professionnelle/un-risque-de-mortalite-diminue-grace-a-un-meilleur-salaire-quel-est-l-impact-du-secteur

[6] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/indicateurs-integration/indicateurs/esperance-vie-bonne-sante.html#:~:text=A%20la%20naissance%2C%20hommes%20et,homologues%20masculins%2070%2C7%20ans.

[7] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/travail-remuneration/chomage-sous-emploi/chomeurs-bit.html#:~:text=Au%202e%20trimestre%202022%2C%20la,2021%20(5%2C0%25).

[8] https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Arbeit/Arbeitslosenversicherung/arbeitslosigkeit/Langzeitarbeitslosigkeit.html

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