Source image : Van Gogh, Mine de charbon dans le Borinage, 1879.

Aurons-nous de quoi nous chauffer et nous éclairer cet hiver ? Une question qui ne s’était pas présentée dans nos esprits depuis un long moment mais que l’actualité à remis au goût du jour. La guerre entre la Russie et l’Ukraine (appuyée par le bloc occidental) – ou les sanctions occidentales et les réactions, logiques, de la Russie [1] – a créé des tensions et des dangers sur l’approvisionnement des pays européens en charbon, pétrole et gaz. Des mesures d’urgences sont en train d’être recherchées ou mises en place. C’est cependant l’occasion de se replonger plus largement dans la politique énergétique.

Pour savoir quelles sources d’énergie nous devons privilégier, il est nécessaire de connaître les possibilités et les buts que nous poursuivons. Parmi ces derniers, nous pouvons déjà mentionner le besoin de limiter les pollutions, pour des raisons de santé des populations, d’impact sur la nature ou le climat. Si aucune source d’énergie ne crée aucun déchet ou pollution, le charbon, le gaz et le pétrole semblent toutefois être particulièrement à bannir. L’éolien et le solaire posent des questions de comparaison entre leurs déchets et leur fabrication d’un côté, et leur production de l’autre. L’hydraulique, a priori, est plus avantageux. Une bonne chose pour la Suisse, mais qui est limité par la quantité de lacs imaginables. L’extraction de l’uranium est évidemment problématique. Les déchets nucléaires aussi, mais leur conservation semble assurée dans de bonnes conditions. Le nucléaire a cependant l’avantage de ne pas participer grandement au réchauffement climatique, première préoccupation lorsque l’on parle de la pollution de l’énergie. Ajoutons enfin que cet objectif doit aussi être présent si nous importons de l’énergie – en d’autres mots, cet objectif n’est pas rempli si nous nous servons des centrales à charbon du nord-est de l’Europe.

Autre but, une certaine indépendance de la production énergétique. L’importance de ce point saute aux yeux dans le contexte de nos difficultés actuelles liées à la situation internationale et aux choix d’autres pays. De ce point de vue, l’hydraulique, l’éolien, le solaire et le nucléaire s’en sortent certainement mieux que le pétrole – que nous ne produisons pas et qu’il est difficile d’amasser en suffisance pour tenir sans de nouvelles importations ; ce que l’uranium permet davantage même si nous devons aussi l’acheter ailleurs. Le caractère souverain de l’éolien et du solaire est toutefois à relativiser compte tenu des matériaux de construction et de l’assemblage. Enfin, le projet actuel de traité, bilatéral ou autre, avec l’UE sur l’énergie est clairement contre-indiqué vu qu’il nous ferait dépendre des importations européennes.

Sous-point dans les relations avec les autres États, le fait de ne pas dépendre d’eux nous permet de ne pas devoir nous plier à leurs volontés ou financer leurs activités – nous pourrions citer, par exemple, la guerre actuelle en Ukraine ou du Qatar et de l’Arabie saoudite vis-à-vis des Frères musulmans et du salafisme.

Un dernier but, et le plus essentiel, est évidemment de permettre un approvisionnement suffisant pour nos besoins afin d’éviter pénuries et rationnements. Cet objectif, pour être totalement acquis, nécessite l’accomplissement du point précédent car sans souveraineté énergétique, nous ne sommes jamais certains des importations. Nous retrouvons les inconvénients des différentes possibilités exposés plus haut. Mais nous devons encore souligner un inconvénient des énergies intermittentes que sont l’éolien et le solaire. A contrario, le nucléaire, par sa puissance, semble être un élément de sécurité.

Une dernière préoccupation peut concerner la sécurité des différentes énergies. Nous pouvons penser au point évoqué concernant notamment l’Arabie saoudite et le Qatar. Les coups de grisou ou les ruptures de barrages illustrent les dangers du charbon et de l’hydraulique. Enfin, le nucléaire est réputé pour ses potentiels accidents – notons toutefois qu’il faut peser les risques entre les grandes catastrophes historiques et les centrales surveillées qui n’ont jamais eu de problèmes.

Qu’est-ce qui ressort de ces quelques réflexions ? Déjà qu’aucune énergie n’est parfaite et qu’il s’agirait, en l’état actuel, d’une pesée d’intérêts et non d’une solution parfaite. Les énergies fossiles semblent cependant être particulièrement mal placées. Un approfondissement des relations avec l’UE ne récolte pas non plus de grandes qualités. L’hydraulique se défend bien. Le solaire et l’éolien se défendent mais ont des défauts justifiant une interrogation plus grande que ce qui est parfois réalisée. Le nucléaire, enfin, mérite certainement d’être dépassionné et reconsidéré plus avantageusement que ce qu’il a été ces dernières années.

Sous un autre angle que la production, la question de la consommation de l’énergie intervient aussi dans tous ces objectifs. Il est évident qu’il sera plus facile de produire suffisamment, de manière souveraine et peu polluante, si les dépenses inutiles d’énergie et les gaspillages sont évités. De même si la demande n’augmente pas trop – d’où une interrogation légitime sur la numérisation grandissante et le passage au tout-électrique.

Une question demeure concernant la nécessité d’une décroissance. Débat qui nécessite de creuser la notion théorique de croissance et sa définition, ainsi que son rapport à l’utilisation de l’énergie et la nécessité qu’il s’agisse de pétrole [2]. Sans aller jusqu’à ces questions, dans tous les cas, des économies d’énergie, une moindre dépendance à ce qu’elle permet de réaliser, en plus de ce que nous avons déjà évoqué, semble plutôt défendable.

Deux derniers points méritent d’être plus soulignés. D’abord, la question de la responsabilité individuelle et, question qui est en fait le miroir de la première, celle de l’intervention de l’État.

Concernant le rôle des individus, il est évident que des habitudes de consommation peuvent influencer à la hausse ou à la baisse la consommation d’énergie. Il est ainsi utile que les individus soient conscients de ces variations et adoptent dans leur vie quotidienne des habitudes conformes aux objectifs généraux du pays. Toutefois, les capacités des individus s’arrêtent plus vites que celle de l’État. La construction de centrales nucléaires relève difficilement d’une coopérative de quartier. De plus, les individus sont influencés par des modes et mœurs générales d’une société, qui peuvent pousser ou non, par mimétisme, à agir d’une certaine manière. Les habitudes de consommation ne dépendent pas seulement de chaque individu atomisé, mais varient aussi au niveau de la communauté dans son ensemble.

À partir de là, l’État – et à travers lui l’intervention de la communauté politique – doit-il jouer un rôle important ? En ce qui concerne les infrastructures et les relations avec les autres pays, sans aucun doute. Mais il peut aussi pousser ou contrecarrer certains comportements – les travaux d’isolation, par exemple. Des installations solaires ou hydrauliques privées peuvent bien sûr exister, mais la concurrence du libre marché peut parfois causer des absurdités par refus de l’intervention étatique – le cas le plus caricatural étant certainement la situation d’EDF en France, obligée de vendre son énergie à ses propres concurrents, qui ne produisent rien mais revendent la production d’EDF et qui n’existent que parce que l’Union européenne ne peut imaginer renoncer à la mise en place de la concurrence, même quand ça n’a aucun sens et que cela faisait déjà augmenter les prix avant l’invasion militaire de l’Ukraine [3]. L’élimination du dogme de la concurrence, qui ne tient pas compte de la réalité des situations, peut ainsi s’avérer une nécessité pour retrouver un juste équilibre entre intervention publique et action privée.

 

 

           

Notes :

 

[1] Pour les problèmes des sanctions occidentales, voir la série de vidéos encore en développement de Trouble Fait, « SANCTIONS sur l’énergie : Le début du SUICIDE économique de l’UE ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=thG5Cz_bO7M , « Ils ont pris les EMBARGOS les plus DÉBILES de toute l’Histoire ! ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=0Z6qDeDuyPs et « Comment les sanctions enrichissent la Russie ! … Et d’autres profiteurs. ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=AqZXehyeUJY . Deux autres devraient suivre. Voir aussi J’suis pas content TV, « RUSSIE : EN ROUTE VERS LA 3EME GUERRE (ECONOMIQUE) MONDIALE ? (avec Jacques Sapir) [PCAT #16] ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=haMD6phtkjU

[2] Pour un point de vue sur cette question et sur celle du nucléaire, voir les analyses de Jean-Marc Jancovici, par exemple : « Jancovici : Anticiper l’effondrement énergétique – 14/12/2017 ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=8yunlx4WWEA

« Jancovici : James Finance contre Docteur Carbone – Genève – 17/09/2020 ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=xMpTDcuhl9w

[3] Sur le cas d’EDF et de l’énergie en France en lien avec l’UE, voir Trouble Fait, « [Hausse de l’électricité +44,5%] : Comment la concurrence a fait exploser les factures ! – VF#7 ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=ZXHDJkxWrfk ; et Le Fil d’Actu, « UN PILLAGE FRANÇAIS #3 : L’énergie ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=nUjHZPkBFtY .

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