Source image : détail de Quentin Metsys, Le Prêteur et sa femme, huile sur panneau, 1514.
queLes votations de septembre seront, entre autres, l’occasion de se replonger dans la thématique ô combien peu enchanteresse et divertissante de l’imposition et des finances. De quoi s’agit-il cette fois ? Déjà de développer notre secteur financier. Avec les difficultés de la paysannerie et de la présence industrielle non-délocalisée on se demande si la finance est réellement le premier domaine à mériter l’attention du politique, mais soit. Ensuite, de tenir compte de la situation internationale pour garantir notre compétitivité en réagissant aux décisions d’une grande partie des pays de l’OCDE. En d’autres termes, l’ouverture de notre économie – si défendue par nos chers libéraux adeptes du libre-échange – nous force à agir, la pression de la concurrence se chargeant de créer la nécessité d’un certain suivisme vis-à-vis des autres États. Serait-il possible d’interroger le besoin absolu d’investissements étrangers dans une économie et plus largement de maintenir une ouverture aussi grande ? Hormis pour la joie de devoir s’aligner sur le modèle dominant plutôt que de choisir librement, de notre côté, ce que nous souhaitons pour notre économie nationale. Étonnamment, une question d’impôt anticipé fini par rejoindre la même question qu’une votation sur un accord de libre-échange [1].
Bien sûr, il n’est pas question de miser sur une autarcie totale en rejetant tout échange ou même contact avec les autres pays de la planète. Mais il serait enfin temps de débattre réellement d’un modèle économique et de proposer une alternative au libre-échange et au laissez-faire libéral. J’avais tenté de tracer à grands traits quelques pistes dans ce sens à partir de l’article de Keynes consacré à l’autosuffisance nationale. Je pense que ces réflexions sont encore valables et me permettrai d’y renvoyer [2].
Mais au-delà de la question du lien de notre économie avec celles des autres pays, profitons de l’occasion pour évoquer rapidement le rôle des impôts et taxes ainsi que de petites réflexions liées.
La première tâche de l’imposition est évidemment de financer l’activité de l’État, à l’interne et vers les citoyens. Pour le faire autrement que par l’impôt et les taxes, deux anciennes possibilités seraient intéressantes à ressusciter pour la réflexion, sans garantie d’aboutissement. Premièrement, le domaine public, l’idée que l’État possède des biens, et notamment des terres, dont l’exploitation permet de couvrir la plus grande partie de ses besoins. Évitant ainsi de devoir s’appuyer sur les biens des citoyens. Secondement, l’usage de corvées ou de services, recourant aux bras des hommes plutôt qu’à leur porte-monnaie. Si ceci permet de diminuer les risques de fraudes et de détournements, par rapport à l’usage de la monnaie, il s’agissait surtout d’encourager l’engagement des citoyens, leur vertu et leur patriotisme, en les faisant participer aux missions publiques plutôt que de les laisser se décharger et se désintéresser de la question [3]. De telles solutions ne seraient peut-être pas envisageables dans notre société, mais l’ouverture de réflexions pourrait être enrichissante et originale.
Une deuxième utilité de l’imposition et des taxes consiste à stabiliser l’économie et ses cycles. Ceci nécessite une politique fiscale contre-cyclique. Cela signifie que les prélèvements doivent s’affaiblir dans les périodes difficiles – afin de soutenir la consommation et ne pas trop peser sur l’économie – mais qu’ils doivent se renforcer dans les périodes fastes – pour renflouer les caisses ou se préparer à d’éventuelles difficultés, ainsi que pour éviter une surchauffe de l’économie.
La troisième utilité de l’impôt est d’assurer une certaine redistribution des richesses afin d’éviter les trop grandes concentrations de capital et d’aplanir les différences entre les classes sociales – qui, dans le cas contraire, auront logiquement tendance à s’opposer brutalement, nuisant à l’unité du corps politique. Le fait d’éviter de trop grands écarts de fortune permet aussi d’éviter que certains individus, ou groupes d’individus, ne deviennent trop puissants par rapport à l’État ou aux individus et groupes défavorisés. Rajoutons qu’un pays devrait sans doute s’assurer que tous ses citoyens peuvent vivre dignement plutôt que de savoir si des millionnaires peuvent devenir milliardaires – dont les fortunes sont d’une utilité sociale, d’un mérite et d’une décence discutables.
De plus, une imposition plus importante des riches peut se légitimer par l’utilité de l’État pour les contribuables. L’impôt étant la contrepartie de plusieurs services dont notamment la protection de certains biens, il peut être logique que le montant de l’impôt soit proportionnel aux services effectivement perçus. Et s’il est vrai que les pauvres profitent sans doute plus des services publics que les riches pourraient se payer même s’ils étaient privés, les riches profitent plus de la garantie de la propriété, droit socialement créé et protégé – sans l’intervention de la communauté politique, il ne s’agirait que de possession dépendante de la force.
À propos du choix de la manière d’imposer, l’usage de ce qui est imposé peut aussi être pris en compte – le nécessaire ne devant pas, ou peu, être imposé tandis que le superflu et le luxe peuvent l’être nettement plus.
Rajoutons, en passant, que l’impôt étant un devoir des citoyens, il est normal de condamner ceux qui tentent de s’y soustraire. Bien entendu, il est nécessaire que les impôts soient justes et globalement bien utilisés pour être soutenus. Mais il ne suffit évidemment pas que quelques personnes déclarent ne pas apprécier l’utilisation actuelle pour qu’il soit légitime qu’elles fraudent.
Une dernière utilité de certains impôts, et surtout des taxes en réalité, est d’orienter les comportements des agents économiques pour éviter des agissements contraires à l’intérêt général ou favoriser ceux allant dans son sens. Cette utilité rejoint la nécessité, pour l’État, de combler certaines défaillances de marché comme les biens ayant des externalités – des conséquences positives ou négatives qui ne sont pas prises en compte dans l’échange marchand, comme la pollution – ou la gestion des biens publics – dont la consommation n’empêche pas quelqu’un d’autre de consommer ce même bien et dont on ne peut empêcher quelqu’un d’en profiter, comme la défense nationale ou l’éclairage public –, dont la production ou la consommation serait trop faible ou trop élevée sans son intervention.
Bien entendu, une politique fiscale ne peut s’envisager qu’en rapport à la politique concernant la dette publique [4] et plus largement la politique monétaire [5] et économique. Mais ceci dépasse largement le cadre de cet article. Toutefois, ces questions mériteraient d’être creusées dans les débats politiques davantage qu’elles ne le sont actuellement.
Notes :
[1] Charles Mansera, « [BRÈVE] Huile de palme et libre-échange », PluriPol, 24 février 2021. URL : https://pluripol.ch/breve-huile-de-palme-et-libre-echange/
[2] Charles Mansera, « [ARTICLE] Autosuffisance nationale et libre-échange », PluriPol, 2 novembre 2020. URL : https://pluripol.ch/article-autosuffisance-nationale-et-libre-echange/
[3] Pour les réflexions sur le domaine public, les corvées ainsi que plus bas concernant ma troisième utilité de l’impôt, voir le troisième devoir du gouvernement dans l’article Économie politique de Rousseau.
[4] Pour une présentation historique de cette notion et quelques réflexions sur ce que cela permettrait d’envisager comme autre manière d’appréhender la gestion de cette dette particulière, voir l’entretien de Pierre de Saint-Phalle chez TheSwissBox Conversation. Url : https://www.youtube.com/watch?v=pKXrmA47SAU
[5] La question monétaire dépend fortement de la théorie de la monnaie suivie. Pour une introduction plus originale et prometteuse que la vision orthodoxe dominante, voir par exemple L. Randall Wray, « The Neo-Chartalist Approach to Money », Center for Full Employment and Price Stability, 10 juillet 2000. URL : https://web.archive.org/web/20191020012347/http://www.cfeps.org/pubs/wp/wp10.html