Source image : Jeunesse socialiste suisse.

Le 26 septembre, outre le mariage pour toutes et tous, le peuple suisse est appelé aux urnes pour se prononcer sur l’initiative « Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital » dite « initiative 99% ». Pour être acceptée, celle-ci doit obtenir la double majorité du peuple et des cantons, s’agissant d’une modification partielle de la Constitution. Lancée avant l’été, la campagne bat son plein dans tout le pays avec des actions marquantes de part et d’autre du spectre politique, prouvant au passage que le clivage gauche-droite n’a jamais disparu.

 

Depuis le début des années 1980 et la révolution néoconservatrice qui a frappé la plupart des pays occidentaux, les inégalités de richesse entre le pourcentage le plus riche de la population et le 99% restant n’a cessé de s’accroître ; les ultra-riches possédaient ainsi 33% de la fortune imposable en Suisse en 1980 alors que, 40 ans plus tard, ce chiffre a augmenté de dix points pour s’établir à 43% en 2017. En somme, un fragment de la population s’accapare toujours plus les richesses de ce pays, le 99% restant se partageant 57% du total – et ce chiffre s’empire au fur et à mesure qu’on fragmente selon la richesse[1]. Entre autres explications sur l’accroissement de ces inégalités : la répartition déséquilibrée, dans les entreprises, du partage de la fortune produite qui a bien plus favorisé le capital au travail depuis une quarantaine d’années.

 

Cette situation s’est particulièrement démontrée pendant le cœur de pandémie de Covid-19 alors que l’entreprise de la famille Blocher EMS-Chemie a fait un bénéfice record – logique, cette entreprise fabriquant des équipements médicaux – qui a surtout profité aux actionnaires d’EMS-Chemie et à la famille Blocher qui a vu sa fortune s’accroître de quatre milliards de francs en 2020, alors que des milliers de personnes perdaient leur emploi dans cette crise[2]. Cette situation n’est pas inédite dans l’histoire mondiale et européenne : durant la Première Guerre mondiale – quoique cela s’observe également durant la Seconde –, les entreprises productrices de matériel de guerre ont vu leur bénéfice atteindre des chiffres records alors que, pendant ce temps, le reste de la population devait se serrer la ceinture, faute de revenus et en raison des pénuries monstres qui frappent cette époque. Ces entreprises-là, et leurs patrons, étaient appelées des « profiteurs de guerre ». Sur le fond, il n’y a guère de différence entre les deux situations.

 

L’initiative 99% part donc du constat que les inégalités de fortune s’accroissent et s’aggravent, avec tout ce que cela implique derrière. Le second constat qui est fait concerne les revenus du travail, qu’on peut résumer par les salaires et tout ce qui tourne autour – primes, traitements, etc. – ; bref, de l’argent perçu en échange d’un travail accompli. Or, la croissance réelle de ces revenus du travail ont tendance à stagner depuis une dizaine d’années, voire à diminuer, c’est-à-dire que le coût de la vie augmente[3]. Cette stagnation s’explique non seulement par un effet de rééquilibrage par rapport à 2010-2012, mais également par une baisse de la productivité : une entreprise qui produit moins a donc moins d’argent à redistribuer à ses employés, c’est cohérent. Mais en ce cas, comment la fortune nette des ultra-riches continuent à augmenter ? Sans doute parce que les capitaux sont placés dans des rendements sûrs, ce qui explique l’enrichissement.

 

Une question morale se pose : alors que le peuple suisse a accepté le 25 novembre 2018 la loi sur la surveillance des assurés qui quasi-criminalise des prestataires souvent précaires, que faire de personnes qui engrangent tant d’argent dans un tel contexte ? Pourquoi peut-on laisser l’argent s’accumuler à tel point dans les mains de quelques personnes au point qu’il en devient inutile – que feriez-vous de 400 millions ?[4] – alors qu’il serait utile à la société toute entière, à l’ensemble de la collectivité ? Le préambule de la Constitution établit que « la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres » : les chiffres pré-covid montrent qu’en Suisse, près 8.7% de la population était sous le seuil de pauvreté et s’accroissent depuis 2014[5]. Au-delà de la fortune, l’inégalité des salaires se creuse également. Quoique dans la moyenne de l’OCDE, la Suisse peut se permettre de réduire encore ces inégalités pour développer ses infrastructures et l’État social[5].

 

Pour revenir à l’initiative et la solution qu’elle propose face à ces constations, le nouvel alinéa 1 de l’article 127a propose la chose suivante[6] : « Les parts du revenu du capital supérieures à un montant défini par la loi sont imposables à hauteur de 150 % ». Si le texte de l’initiative ne mentionne pas de montant précis – une initiative se devant d’être rédigée de manière générale –, les initiants avancent le montant de cent mille francs de revenu du capital – dividendes, intérêts, etc. –, soit une fortune de près de trois millions de francs investie avec un rendement annuel moyen de 3.37%, montant qui toucherait environ 1.5% de la population en Suisse. Si ce montant est supérieur, alors on applique au montant supérieur à ces cent mille francs – par exemple cinquante mille francs si une personne physique en touche cent cinquante mille – un coefficient de 1.5. Ainsi, dans notre exemple, la personne serait taxée comme si elle avait gagné cent septante-cinq mille francs de revenu du capital en une année. La classe moyenne n’est donc pas touchée.

 

Une chose cependant : cette initiative introduit une inégalité dans le traitement entre le revenu du capital et celui du travail d’une part, et au sein même de la manière dont le revenu du capital est imposé, en plus de créer un revenu fictif. Cependant, ces inégalités existent déjà, mais dans le sens inverse : actuellement, le revenu du capital n’est pas taxé en Suisse, sinon à de rares exceptions alors que dans le Canton de Vaud, le salaire est imposable pour 2021 à hauteur de… 155.0%. Soit plus que ce que souhaite l’initiative 99%.[7] Par cela, la Suisse est un paradis fiscal pour les riches. Personne n’ayant l’utilité d’une telle richesse, un « oui » à une initiative qui vise à rééquilibrer les comptes et ajouter un peu de justice fiscale, en particulier après une période comme celle que nous venons de traverser, est plus que nécessaire.

 

 

[1] « Fortune des ménages: une Suisse à deux vitesses, avec des riches de plus en plus riches », in Le Nouvelliste, 23 septembre 2019, consulté le 9 septembre 2021, https://www.lenouvelliste.ch/articles/economie/fortune-des-menages-une-suisse-a-deux-vitesses-avec-des-riches-de-plus-en-plus-riches-868677.

[2] « La fortune globale a fait un bond en avant malgré la pandémie » in Bilan, 22 juin 2021, consulté le 12 septembre 2021, https://www.bilan.ch/economie/la-fortune-globale-a-fait-un-bond-en-avant-malgre-la-pandemie et « Pandémie: 3,7 milliards de plus pour la famille Blocher », in lematin.ch, 6 septembre 2020, consulté le 7 septembre 2021, https://www.lematin.ch/story/pandemie-3-7-milliards-de-plus-pour-la-famille-blocher-433029158910.

[3] « Stagnation sans précédent des salaires en Suisse, l’OCDE s’inquiète », in Le Temps, 5 juillet 2018, consulté le 12 septembre 2021, https://www.letemps.ch/economie/stagnation-precedent-salaires-suisse-locde-sinquiete.

[4] « Que peut-on faire avec 400 millions ? » in L’Humanité, 27 juin 2013, consulté le 12 septembre 2021, https://www.humanite.fr/societe/que-peut-faire-avec-400-millions-544739.

[5] Distribution des revenus, OFS, consulté le 10 septembre 2021, https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/situation-economique-sociale-population/bien-etre-pauvrete/inegalites-de-repartition-des-revenus/distribution-des-revenus.html.

[6] Texte de l’initiative, consulté le 7 septembre 2021, https://99pourcent.ch/arguments/texte-dinitiative/.

[7] Depigest, Fiscalité des personnes physiques : bref aperçu du traitement fiscal des gains

en capital privés en Suisse, novembre 2016, consulté le 12 novembre 2021 et https://www.vd.ch/themes/etat-droit-finances/impots/impots-pour-les-societes/les-impots/impot-sur-le-capital/, consulté en juillet 2021.