Cela a largement été souligné par les médias : les candidats principaux à la présidence des États-Unis d’Amérique ont été les plus âgés de l’histoire, en cette année 2020. De manière globale, la classe politique américaine semble s’être spécialisée dans les parlementaires et élus increvables, sans cesse réélus et quittant leur poste à leur décès, permettant enfin un basculement dans leur circonscription. C’est partiellement vrai, mais le phénomène ne se limite pas aux USA.
Le système électoral américain favorise les élus qui le sont depuis longtemps et deviennent, au fil du temps, indéboulonnable : Mitch McConnell, 78 ans, qui a été réélu pour un 7e mandat de Sénateur de 6 ans pour le Kentucky ce 3 novembre, n’est même pas le plus ancien de la Majorité républicaine. Et il est déjà décrit par une partie de la classe américaine comme ayant fait son temps, étant en poste depuis le 3 janvier 1985 ; cependant, le Sénat des États-Unis d’Amérique a cette particularité qu’il offre le poste de « président pro tempore » – c’est-à-dire de présider le Sénat en l’absence du vice-président – au Sénateur de la majorité étant en poste depuis le plus longtemps – donc pas nécessairement le plus vieux, même si cela concorde souvent –, dans ce cas Chuck Grassley, 87 ans en 2020, qui arrivera au bout de son 7e mandat de Sénateur pour l’Iowa en 2022 et est en poste depuis 1981.
Ce genre de longévité au Sénat américain sont monnaie courante : l’ancien président pro tempore démocrate Patrick Leahy, qui a perdu cette qualité après que les Républicains ont regagné le Sénat, âgé de 80 ans en 2020, est Sénateur pour le Vermont depuis 1975 dans son 8e mandat qui s’achèvera après les élections de 2022. Pour autant, malgré ses presque 46 ans de carrière au Sénat, il ne détient pas le record : son prédécesseur comme président pro tempore est mort en poste après cinquante années à représenter Hawaï et son collègue de parti Robert Byrd, président pro tempore à 4 reprises pour un total de 11 années, avait représenté la Virginie-Occidentale de 1959 à 2010.
Si ces cas de figure sont emblématiques aux USA, on en retrouve un peu partout dans le monde et notamment en Europe : en France, on pensera à la carrière de Valéry Giscard d’Estaing, récemment mort, qui aura été élu pour la première fois en 1956 à l’Assemblée nationale et se représentant une dernière fois en 2004 pour obtenir 4e mandat de Président de région, à l’âge de 78 ans. Cette longévité reste encore exceptionnelle, mais certains élus politiques semblent indéboulonnables : ainsi, Jean-Luc Mélenchon, élu sans interruption au niveau local ou nation depuis 1983 ; François Fillon, élu de 1981 à 2017. Moins récemment, on pensera à François Mitterrand, élu de 1946 à 1995, Alain Poher, Sénateur français pendant 44 ans et président du Sénat de 1968 à 1992. Le cas extrême reste tout de même Geoffroy de Montalembert, parlementaire qui a occupé des responsabilités politiques de 1925 à sa mort en 1993 à l’âge de 95 ans[1].
Des carrières politiques de plus de vingt ans ne sont, dans l’absolu, pas exceptionnelles : en particulier si le ou la parlementaire en question commence à militer et à siéger jeune et vit longtemps, alors trente ans de mandature ne sont pas vraiment exceptionnels. Ce qui est déjà plus rare, c’est de rester autant de temps à un même poste : en France, le plus ancien député encore en fonction est le Républicain Jean-Luc Reitzer, élu pour la 3e circonscription du Haut-Rhin depuis 1988 et qui occupait le poste de maire d’Altkirch de 1983 à 2017. En France particulièrement, la longévité s’accompagne d’un cumul souvent massif des mandats, si tant est qu’on ne soit pas emporté par une vague rose, bleue ou macroniste. Ainsi, Gérard Collomb, qui cumulait neuf mandats et fonctions en 2014[2].
L’avantage d’une circonscription où une seule personne est élue à la fois, c’est de pouvoir identifier facilement qui représente les citoyens et donc, à l’envi, réélire cette personne jusqu’à ce qu’elle ne se représente plus ou qu’elle meure en cours de mandat et de bien résister aux changements récurrents de la vie politique qui peuvent avoir lieu. La situation est quelque peu différente en Suisse, notamment au niveau des législatifs qui se font très souvent à la proportionnelle et pas à la majoritaire, et dont les élus sont souvent inconnus ; ainsi, allez demander à n’importe quel citoyen du Nord-vaudois qui sont les personnes qui le représentent au Grand conseil : la réponse sera souvent soit fausse, soit incomplète, ce qui est beaucoup moins le cas des élus en France ou aux USA.
Sur le Canton de Vaud, Pierre-Yves Maillard peut se targuer d’avoir une longévité politique assez importante et qui va sans doute durer au vu de sa popularité : élu pour la première fois en 1990 à Lausanne, il a fait son retour au Conseil national à l’automne 2019 après avoir passé 15 ans au Conseil d’État vaudois, dont 5 en tant président de celui-ci. Pour autant, il est loin d’avoir la plus longue carrière en Suisse : la Verte de Bâle-Campagne Maya Graf ouvre la législature 2019-2023 en tant que plus ancienne élue en fonction, l’étant depuis 2001 (d’abord au Conseil national, puis au Conseil des États depuis 2019). Si Daniel Brélaz a été élu pour la première fois en 1979, ses multiples allers-retours entre Lausanne et Berne le privent de cette qualité.
Pour autant, cette longévité s’est calmée au cours des années : en ce qui concerne les Conseillers fédéraux, la carrière de 15 ans du PS Moritz Leuenberger ont semblé être une éternité et plusieurs personnes se posaient la question de savoir si Ueli Maurer, Conseil fédéral UDC depuis 2008, allait se représenter en 2019 et s’il le fera en 2023. Au XIXe siècle, Karl Schenk reste 31 ans au Conseil fédéral, son mandat étant interrompu par sa mort après avoir été six fois président de la Confédération – un record. De manière plus globale, sur les sept premiers conseillers fédéraux élus, trois moururent en fonction, un ne fut pas réélu après deux mandats de trois ans et les deux autres démissionnèrent après 18 et 27 ans en poste. Pratiquement inimaginable de nos jours. En Europe occidentale, la tendance est à un raccourcissement des durées parlementaires : les 15 ans de gouvernement d’Angela Merkel font maintenant partie de l’exception – ceci sans mentionner les 68 années de règne d’Élisabeth II, le Royaume-Uni restant une exception proche des USA –, des limites au nombre de mandats s’installent soit au sein des partis, soit dans les Constitutions, soit dans des projets de lois peu débattus et acceptés à une forte majorité.
La question de la longévité en politique en pose plusieurs autres : l’expérience du poste n’est-elle pas un avantage pour les partis et les citoyens, qui peuvent ainsi (se re)connaître (dans) leurs élus et ainsi avoir une certaine stabilité ? Au contraire, cette longue expérience ne mène-t-elle pas à la création d’une technocratie déconnectée et empêche un renouvellement ? Plus globalement, l’engagement pour la société devrait-il être limité dans le temps ou simultanément, comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays ou au sein de partis ? N’est-ce pas aux citoyens de décider qu’au bout d’un certain nombre d’années, leurs élus ne sont plus légitimes à les représenter ? Dans tous les cas, c’est une moralisation de la vie politique qui est en cours, mais pas forcément celle à laquelle on pourrait penser de prime abord.
[1] https://www.cairn.info/revue-parlements1-2005-1-page-61.htm
C’est dommage de s’arrêter sur les questions les plus intéressantes, il faudra une suite à cet article, parce que je n’ai toujours pas bien compris ces graves problèmes que poserait ces éléments.
Petit bonus sur la moralisation et le cumul des mandats, court mais intéressant (deuxième partie, de 6:38 à 16:32) : https://www.youtube.com/watch?v=_Rc5giSbvJw&list=PLMliZY3QWQlIV_CU9Szmx7LHgMTSDxmNU&index=10