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Dernier bloc de votation de cette année hors du commun, les objets soumis au vote en novembre 2021 ont la particularité, tout du moins pour deux d’entre eux, de s’inscrire excessivement bien dans le contexte, dont l’un des deux au moins par accident : l’initiative pour des soins infirmiers forts. Demandant que la Confédération et les Cantons investissent massivement pour éviter une hémorragie du personnel soignant, cette initiative est partie avec un soutien historiquement élevé.
Pour nos troisièmes articles de cette seconde saison de PluriPol, nous avons donc décidé de consacrer un bloc entier consacré aux votations de ce mois. Après l’initiative sur le tirage au sort des juges fédéraux, c’est donc au tour de l’initiative pour des soins infirmiers forts d’être traitée ici. Déposée en 2017 après mois de dix mois de récolte, elle subit un long délai de traitement, marqué notamment par la mise en place d’un contre-projet indirect après des débats mouvementés au Conseil national et au Conseil des États. Initiative relativement ordinaire demandant à ce que les soins infirmiers soient reconnus comme « une composante importante des soins »[1], elle prend une toute autre tournure lorsque, au milieu des délibérations du Parlement, son traitement est suspendu et rallongé en raison d’une crise pandémique. Ironie du sort, la mise au vote de l’initiative a lieu le même jour que le vote sur la seconde version de la loi édictée pour faire face à cette crise sanitaire…
Alors que les initiatives plutôt de gauche ont généralement toutes les peines du monde à être adoptées – quand elles ne sont pas carrément rejetées largement ou le sont de peu, en raison des Cantons –, l’initiative « Pour des soins infirmiers forts » part sur les chapeaux de roue : le sondage SSR du 22 octobre montre un soutien de l’initiative à près de 78%[2]. Un résultat très positif pour les initiants, même si une surprise comme celle de l’initiative pour des multinationales responsables – acceptée par le peuple, mais rejetée par les cantons[3] – n’est pas à écarter, le projet semble bien parti pour être accepté par le peuple et les cantons, toutes les régions du pays soutenant ce projet. Surprise parmi ce sondage : alors que les élites du PLR et son groupe parlementaire ont unanimement (ou presque) rejeté le texte, 58% des sympathisants du PLR et même 68% des sympathisants de l’UDC soutiennent cette loi ; on voit ainsi assez mal comment un retournement de situation peut se profiler durant ces trois dernières semaines de campagne.
La campagne contre cette initiative semble par ailleurs paralysée : complètement invisibilisée dans le paysage médiatique et sur les réseaux sociaux – ne serait-ce pas malvenu de dire non à une telle idée alors que la Suisse affronte sa cinquième vague de covid ? –, les arguments semblent se cantonner à un débat sur le fédéralisme et les compétences qui doivent relever, ou non, de la Confédération et le PLR n’en est d’ailleurs pas dupe. Sur son site internet, l’argumentaire se détache en trois parties : le fait que le contre-projet va déjà loin – un milliard de francs investis pour la formation, ce que les libéraux-radicaux qualifient de « extrêmement généreux » –, que le contre-projet pourra être tout de suite mis en place et pas l’initiative et – l’argument que tout le monde attendait –, que l’initiative va entraîner « une hausse des coûts »[4]. On aurait pu s’attendre aux sempiternels « Cette initiative manque sa cible » et « Et nos PME ?! », on pourrait presque en être déçus. Ces arguments sont surprenants, voire contradictoires : si le contre-projet est prêt et pourrait servir de loi de mise en application, pourquoi ne pas simplement reprendre le texte Word de base et le transformer de manière à appliquer la volonté populaire en cas d’acceptation ?
En réalité, le seul argument un peu valable est la limite du fédéralisme – car si le Parlement est prêt à mettre un milliard sur la table, nul doute qu’il est prêt à en mettre plus ou au moins plus régulièrement, surtout si le soutien est massif – et la distinction des compétences entre les Cantons et la Confédération. Historiquement, il relevait de la compétence des Cantons ce qui n’était pas explicitement de la compétence de la Confédération, ce qui, dans la première Constitution de 1848, signifiait des amendements réguliers de ce texte et a mené à une refonte totale en 1874 – après plusieurs échecs – et en 1999[5]. Il est communément accepté que la santé reste une compétence cantonale, chaque Canton ayant ses propres hôpitaux, etc. ; cependant, ce dogme n’est plus si vrai : après tout, la LAMal, entrée en vigueur en 1996, ne fait que remplacer la précédente loi sur l’assurance-maladie, introduite en 1912[6]. De plus, le texte de l’initiative reconnaît la limite de la compétence de la Confédération dans ses dispositions transitoires en stipulant que « La Confédération édicte, dans les limites de ses compétences, des dispositions d’exécution »[1].
Finalement, on peut très honnêtement se demander si ce sujet à un autre moment aurait abouti à un résultat différent. D’aucuns diraient que oui, et que cette initiative profite de la popularité inouïe du Conseiller fédéral en charge de la Santé, Alain Berset[7]. Cependant, cette logique aurait aussi dû s’appliquer aux votes sur l’interdiction de se dissimuler le visage et à l’initiative 99% : alors que la seconde souhaitait taxer les très gros revenus du capital, et aurait permis de grandes rentrées d’argent, elle a été largement refusée par le peuple et n’a été acceptée dans aucun Canton ; pour la première, l’ironie est même de mise, puisque le port du masque était encore généralisé alors que le peuple suisse souhaitait qu’on interdise de se dissimuler le visage – quoiqu’une exception pour raison médicale était explicitement inscrite. En réalité, le vote aurait peut-être été moins éclatant et l’initiative aurait sans doute été acceptée à un ou deux Cantons près et quelques 55% des voix. Au vu des sondages et de la campagne, une acceptation par moins de 70% des voix serait une déception pour les initiants et leurs – nombreux ! – soutiens.
Depuis le début de la pandémie, le message du « ça va nous coûter un pognon de dingue » ne passe plus trop : alors que la Suisse a historiquement dépensé de l’argent pour renflouer son économie et sauver des centaines de milliers d’emplois menacés, les citoyens semblent avoir pris conscience des coûts de la santé d’une manière générale, et de la nécessité de prendre soin de celles et ceux qui nous soignent.
[1] Texte de l’initiative, sur le site de la chancellerie fédérale, https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis472t.html.
[2] Le Temps, Sondages : les soins infirmiers et la loi Covid cartonnent, https://www.letemps.ch/suisse/sondages-soins-infirmiers-loi-covid-cartonnent, 22 octobre 2021.
[3] Selon l’article 139 de la Constitution fédérale, une initiative fédérale doit obtenir la double-majorité du peuple et des cantons (être acceptée par plus de 50% des votants et par au moins 13.5 Cantons) pour être acceptée ; à la veille du vote du novembre 2021, cette dernière situation s’est déroulée le 7 mars 2021 avec l’acceptation de l’initiative populaire « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage » par 51.2% des voix et 18 cantons.
[4] Site du PLR, Non à l’initiative sur les soins – oui au contre-projet, https://www.plr.ch/campagnes/oui-aux-resultats-concrets.
[5] La révision de 1999, entreprise une dizaine d’années plus tôt, consiste bien plus en une mise à jour et une reconstitutionnalisation de certains droits impératifs que comme un changement radical du système ; la Constitution de 1874 était devenue absolument illisible et nécessitait un bon coup de polish.
[6] DEGEN, Bernard, Assurance maladie in DHS, https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/016608/2008-10-30/, 30 octobre 2008.
[7] 20 minutes, Alain Berset, le conseiller fédéral le plus « sympathique », https://www.20min.ch/fr/story/alain-berset-le-conseiller-federal-le-plus-sympathique-124462689935, 16 octobre 2021.