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Après l’hégémonie de l’État-providence jusque dans les années 1970, la révolution néoconservatrice des années 1980 – menée par Ronald Reagan aux États-Unis d’Amérique et Margaret Thatcher au Royaume-Uni – et la chute du bloc soviétique entre 1989 et 1991 ont permis la mise sur pied d’un ordre économique d’une violence inouïe, théorisé par les Écoles de Chicago et autrichienne et inspiré de l’expérience chilienne sous Pinochet, dictateur du pays entre 1973 et 1990. Cependant, ce processus ne commence pas dans les années 1970-1980 mais bien avant.

 

Il n’est en réalité pas si idiot de remonter jusqu’au XVIe siècle et les premiers échanges entre l’Europe et l’Amérique pour comprendre d’où vient la mondialisation. Voire avant. En soit, on a des preuves d’échanges commerciaux entre le Proche-Orient et l’Europe du Sud-Est déjà au troisième millénaire avant notre ère ; des marchandises – plus probablement des produits ou aliments pouvant tenir longtemps – qui traversent plus de mille kilomètres, ce n’est donc pas une nouveauté et il n’est pas improbable que dès le début du commerce, à la préhistoire, les échanges pouvaient atteindre plusieurs centaines de kilomètres, notamment par voie de mer. D’ailleurs, des Empires gigantesques eu égard les technologies de l’époque apparaissent dès le deuxième millénaire avant notre ère.

 

Bien évidemment, tous ces échanges se poursuivent et connaissent un coup d’accélérateur durant le Moyen âge avec le commerce d’épices entre les Indes et l’Europe aux XIIIe et XIVe siècles. La plus grande progression du commerce et les premiers pas de la mondialisation se font avec la découverte du continent américain et de ses deux sous-continents par les Européens au XVe siècle et son exploration tout au long des deux siècles qui suivent. Si au départ, le premier objectif des puissances européennes est de christianiser les populations qui occupent déjà les lieux, la colonisation qui commence au cours de l’Époque moderne[1] affiche dès le départ une volonté de profiter de l’immense quantité de matières premières qui se trouvent notamment dans les sols d’Amérique du Sud.

 

De nombreuses choses divergent entre le balbutiement de la mondialisation au XVIIe siècle, celle galopante du XIXe siècle – notamment liée à la colonisation de l’Afrique et la poursuite des colonies asiatiques – et celle du XXIe siècle : à quelques exceptions près, seules les personnes et les marchandises se déplaçaient d’un bout à l’autre du monde, souvent de manière définitive. Contrairement à ce que l’Europe connaît depuis la fin des années 1970, on n’assistait qu’à un très faible – voire aucun – échange de savoirs dans la production. Ainsi, chaque région avait sa spécialité et la différence des coûts de production liés aux différents niveaux de vie entre l’Europe et ses colonies permettaient de sauvegarder, hors cycle économique houleux, des emplois et une production locale ou nationale. Entre autres choses, cette situation était due au fait qu’une écrasante majorité de la population européenne – environ 80% au XVIIIe siècle – travaillait dans le secteur primaire, à une époque où on n’arrivait pas encore à transporter des denrées rapidement périssables plus loin que leur région de production.

 

L’industrialisation et la transformation du capitalisme en capitaliste productiviste changent cependant la donne : avec la transformation des matières premières et la nécessité de trouver une clientèle pour les produits, l’économie se globalise avec l’implantation d’ateliers et d’usines un peu partout en Europe et aux USA. La caricature, en définitive pas si fausse, consiste à dire que l’Europe et l’Amérique fabriquent des produits manufacturés avec des matières premières importées d’Asie et d’Afrique qu’elles leur revendent transformées par la suite ; avec le commerce triangulaire, il y a un fonds de vérité. Les Trente Glorieuses sont marquées par un accroissement du consumérisme et la naissance véritable de l’obsolescence programmée, qui oblige à une croissance toujours plus élevée et une consommation de plus en plus importante.

 

C’est aussi dans les années 1970 qu’on assiste à une désindustrialisation, la production massive ayant diminué et nécessitant maintenant moins de mains d’œuvre. Paradoxal avec la remarque du paragraphe précédent ? Oui, mais pas contradictoire : alors que se développe en Europe le secteur tertiaire, celui du service, le travail nécessaire aux secteurs primaire et secondaire est peu à peu délocalisé afin de réduire les coûts du travail… mais pas seulement. Nombreux sont les rapports et preuves qui montrent aujourd’hui que cette délocalisation n’a pas eu pour seul but de moins payer les employés, mais également de profiter de pays du Sud global où le droit du travail est bien moins développé que dans l’Occident et permette une production qui n’est plus possible en Europe et en Amérique. De plus, la plupart des minerais étant localisés en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie, rapprocher les matières premières des lieux de production.

 

Alors qu’une grande partie de ce travail secondaire disparaît en Europe, on assiste en même temps à une hausse du chômage et à la fin du plein emploi qu’a connu la génération des baby boomers, née après la guerre. La sournoiserie du néolibéralisme qui a produit cette situation est d’à la foi avoir réussi à mettre en place ce système, mais également d’avoir produit une concurrence au sein même du prolétariat, à qui l’on a vendu la plus tendre enfance le discours productiviste et concurrentiel de base : « Tu ne trouves pas de travail et/ou tu as perdu ton emploi ? C’est parce que tu ne produis passez. Travaille plus ». La doctrine du « Travailler plus pour gagner plus » est symptomatique de ce nouvel ordre économique : la place de l’État doit reculer pour permettre des investissements privés qui relanceront l’économie. Chose qui n’arrive toujours pas et qui a provoqué déjà plusieurs crises économiques.

 

 

[1] Donc entre les XVe et XVIIIe siècles