L’initiative contre le commerce de guerre possède quelques aspects étranges. Déjà, la détermination à 5% du chiffre d’affaire pour la définition des producteurs de matériel de guerre, qui ne semble pas être extraordinairement justifié et qui rend aussi concernées les entreprises dont plus de 90% du chiffre d’affaire vient de secteurs très différents. Ensuite, comment les initiants peuvent-ils prédire que les nouveaux investissements seront écologiques à partir d’une simple interdiction d’investissement dans un seul secteur ?
De plus, rien ne changera fondamentalement pour la confédération, elle pourra toujours acheter du matériel militaire pour l’armée, être l’unique actionnaire de Ruag, investir dans des entreprises de matériel de guerre ou en posséder. Mais la BNS ne pourra logiquement plus investir dans des entreprises de matériel de guerre soutenues par la confédération, ce qui sera relativement illogique et contradictoire tout en ne réglant pas le fait que de l’argent publique finance du matériel de guerre ni certaines interrogations sur les conséquences d’activités de Ruag en termes de neutralité. Sujets que l’on retrouve pourtant dans les arguments des défenseurs de l’initiative.
Mais cela vaut tout de même mieux que si l’initiative concernait aussi la confédération. Car dans ce cas elle serait entièrement une initiative de privatisation du financement du matériel de guerre, car le privé resterait seul à pouvoir le financer – même si l’initiative actuelle va déjà plutôt dans cette logique. Visiblement le secteur privé est nettement préférable que le secteur publique pour gérer des affaires aussi importantes que la construction ou la vente de matériel de guerre. Une telle préférence pour le privé est surprenante. J’aurais plutôt milité pour une nationalisation de ces secteurs et une intervention publique afin de vérifier ce qui est fait et de limiter la dépendance de notre armée à des groupes privés ou dépendant d’autres États.
Évidemment, le rêve des initiants n’est pas de laisser le matériel de guerre entre les mains des groupes privés. Non, ils sont nettement plus réalistes que cela. Il veulent simplement que la planète entière arrête de fabriquer des armes et que les humains ne se fassent plus la guerre. Beaucoup plus réaliste. Et comme cela sera rapide à réaliser, le remplacement du publique par le privé ne durera pas.
Sans entrer dans le débat économique entre l’offre et la demande, nous pouvons noter que l’initiative ne touche que le financement de la production, mais ne permet pas d’améliorer la résolution diplomatique des conflits ou de calmer les raisons de ceux-ci. Et même si son objectif à plus long terme était atteint, et que les banques et assurances n’investissaient plus dans le matériel de guerre, les autres acteurs pourraient toujours le financer.
À noter aussi que l’on peut demander des armes dans plusieurs cas. On imagine bien les initiants dans la France des années trente, à expliquer qu’il ne fallait pas financer du matériel de guerre – on aurait vu ce que cela aurait donné en 1940. Car oui, le matériel de guerre peut aussi servir à se défendre lors d’une agression extérieure. Et plus largement, il n’est qu’un instrument qui peut être utilisé pour plusieurs raisons et de manière plus ou moins agressive ou défensive – car ce ne sont pas les armes qui se font la guerre, ce sont les hommes qui les tiennent. Rappelons ainsi que, en plus des hallebardes, la garde suisse pontificale possède aussi pistolets et fusils d’assaut, certainement des armes qui tuent des millions de civils et en forcent autant à partir de chez eux.
Alors, certes, il ne s’agit pas de dire que la guerre, c’est génial ! Mais la politique au niveau des États et la diminution des conflits armés nécessite peut-être plus que des initiatives qui reposent avant tout sur l’idée morale que la guerre, c’est mal.