Kamala Harris est la deuxième femme du Parti démocrate, après Geraldine Ferraro en 1984, à être candidate à la vice-présidence des États-Unis. D’abord candidate à la présidence, elle est choisie par Joe Biden puis validée par la Convention nationale démocrate avec un ordre clair : remplacer Mike Pence à la vice-présidence, regagner le Sénat perdu en 2014 et, à mots cachés, assurer la succession de Joe Biden, qui sera âgé de 77 ans et 349 jours lors de l’élection présidentielle.

C’était un secret de polichinelle, finalement dévoilé le 11 août : le 3 novembre 2020, le ticket démocrate se composera du 47e vice-président Joe Biden, sénateur du Delaware entre 1973 et 2009, et de la 32e procureure de Californie, actuelle sénatrice de ce même État depuis 2017. Élue de la côte ouest, Harris est certaine de ne pas subir le revers qu’a subi Al Gore en 2000 en perdant son État, la Californie étant solidement ancrée dans le camp démocrate depuis les années 1990. Quoique largement en tête dans les sondages – près de 10 points durant l’été 2020 –, Biden a préféré ne pas nommer Stacey Abrams de Géorgie, vue comme étant plus à gauche que lui, prenant le risque d’en perdre les 16 voix électorales.

L’élection de 2020 sera sans doute similaire à celle de 2016 : elle se jouera dans la Rust belt, ces États rapidement désindustrialisés, dont trois d’entre eux – Pennsylvanie (20 voix électorales), Michigan (16) et Wisconsin (10) – avaient plébiscité Donald Trump, lui donnant une marge de 36 voix électorales ; perdre la Rust belt signifie dès lors pour lui perdre la Maison-Blanche. De même, les États de Floride (29), de Géorgie (16) et de Caroline du Nord (15) seront essentiels à Joe Biden s’il veut sécuriser son accession à la Maison-Blanche.

Si le ticket démocrate a un avantage certain – celui de ne pas être sortant –, il est pour autant lourdement handicapé par l’âge de Biden, que d’aucuns voient démissionner, sinon mourir de vieillesse, avant l’élection présidentielle de 2024, à laquelle il est peu probable qu’il se représente, qu’il gagne l’élection de cette année ou non. De même, le peu d’engouement autour de la campagne de Joe Biden, qui n’a été choisi que pour « battre Trump », ainsi que son appartenance à l’establishement démocrate risquent de lui être fatals.

Dans tous les cas la position de Kamala Harris est centrale : conscient de son lourd handicap dans cette campagne, Joe Biden a préféré nommer, de ses propres mots, quelqu’un qui soit prêt « Day One » à assumer la fonction présidentielle. Ainsi, Kamala Harris est pratiquement certaine, en cas de victoire démocrate, d’être la 47e présidente des États-Unis.

Même dans le cas – très probable – où le ticket démocrate perd l’élection de novembre, la position de Kamala Harris au sein du parti démocrate sera renforcée : la puissance et l’influence de l’establishement est encore trop fort pour que l’aile progressiste prenne le pouvoir en 2024, en particulier si Donald Trump est réélu avec un collège électoral moins favorable qu’en 2016 – le risque qu’il perde les 16 voix électorales du Michigan et les 11 voix électorales de l’Arizona où les républicains perdent en vitesse est puissant.

S’il est rare que le candidat perdant à la vice-Présidence soit ensuite candidat à la présidence des États-Unis et l’emporte, le cas est arrivé deux fois au cours du siècle dernier : candidat à la vice-présidence en 1920 où son ticket obtient à peine plus d’un tiers des voix, Franklin Delano Roosevelt est largement élu à la présidence des États-Unis en 1932. Il en est de même pour Richard Nixon qui, en tant que vice-président de Dwight Eisenhower sortant, est battu par John Fitzgerald Kennedy en 1960 avant de remporter l’élection en 1968 face au vice-président sortant en 1968.

Ainsi, la domination de l’establishement sur le parti démocrate se jouera cette année : après plusieurs lourdes défaites de ses représentants lors des primaires démocrates face à l’aile progressiste, perdre l’élection présidentielle pourrait lui être fatale, même en remportant le Congrès : ainsi qu’il était arrivé à l’aile progressiste après la mort de Franklin Roosevelt, puis la lourde défaite de Walter Mondale en 1984. Kamala Harris porte sur ses épaules l’espoir de l’establishement démocrate, qu’elle en soit consciente ou non.