Source image : Pierre Brueghel l’Ancien, Le Combat de Carnaval et Carême, 1559.

En cette période de l’avent qui commence, l’occasion est bonne pour revenir sur la place des fêtes dans nos sociétés, leurs rôles et ce qu’elles nous disent sur nous-même.

Les fêtes peuvent avoir une certaine importance dans la vie d’une collectivité humaine. Elles lui permettent de se réunir dans des actes et des rites pratiqués en commun, qui créent à leur tour un ensemble d’émotions et de souvenirs partagés qui participent à l’union et à la consolidation de la collectivité en question. Il est important pour un groupe humain de pouvoir se réjouir ou pleurer ensemble. Cela répond au besoin social des individus et renforce le sentiment d’appartenance.

Les fêtes peuvent aussi servir à faire vivre, transmettre ou raviver des valeurs, des principes, voire des modèles, pour les différents membres de la collectivité – et particulièrement les derniers arrivés, dans la vie ou d’une autre collectivité. Nous touchons aussi ici le rôle des commémorations, sur lesquelles nous ne nous étendrons pas, car cela nous entraînerait plus loin, dans un sujet annexe.

Notons tout de même qu’en plus des commémorations, le rôle du politique dans le choix de certaines fêtes, leur création ou leur célébration peut être important. Les fêtes nationales, par exemple, sont entre la culture ou l’histoire et la politique, car elles prennent généralement place dans le cadre d’un corps politique et s’adressent à des citoyens plus qu’à de simples individus.

Pour revenir aux autres fêtes, elles illustrent souvent le partage d’une culture commune, d’un enracinement dans un petit coin de planète particulier. À relever, elles proviennent souvent de la religion historique de la collectivité, qui a marqué son développement, et qui demeure une part de son identité non pas comme croyance des individus mais comme marque de sa culture et de son héritage, que tous ces membres peuvent partager – croyants ou non.

Les fêtes marquent le calendrier, structurent le temps et l’humanisent d’une certaine manière en lui donnant d’autres attributs et sentiments qu’une succession de chiffres.

Elles peuvent aussi avoir une importance à une échelle plus petite, permettant de sentir des liens avec ses proches, famille et amis.

Leurs évolutions dévoilent aussi certaines modifications d’une société. Par chez nous, nous constatons ainsi la présence toujours forte de l’impérialisme culturel américain, à coup d’importation de Halloween – dont la connaissance a remplacé la Toussaint – ou de Black Friday lié à l’origine à Thanksgiving.

Nous voyons aussi un exemple de marchandisation – qui n’a pas entendu dire d’une fête qu’elle était « commerciale » et que les magasins les commençaient en avance ? – ou, pour les plus grandes, de vocation en attractions pour touristes. Pourtant, il est important d’avoir des choses non-monnayables, qui échappent à la logique comptable – très bonne pour tenir des comptes, mais pas pour la vie humaine dans son ensemble ni pour les relations entre individus. Des choses qui n’ont pas de prix sont souvent plus importantes.

Le sens de certaines fêtes est en partie oublié, quand ce n’est pas leur existence même qui s’effrite – Saint Nicolas tombe dans l’oubli tandis que le père noël demeure bien là. L’héritage culturel qu’elles représentent, parfois fortement critiqué, souffre aussi d’un certain oubli.

La réunion de la collectivité a aussi logiquement moins d’importance dans une société d’individus plus atomisés.

Certains auteurs ont pourtant analysé un rôle plus important pour certaines fêtes dans le passé. À titre d’exemple, citons le carnaval, dont on retient surtout les déguisements, alors que René Girard avait analysé le processus d’inversion des rôles comme une reproduction d’une crise mimétique, où les rapports et les rôles se troublent et où la violence apparaît, pour finir par un retour salutaire à l’ordre social. J’arrête ici l’exemple, mais ne peux que vous encourager à parcourir La violence et le sacré ou Le bouc-émissaire pour approfondir ses théories.

Aujourd’hui, il est difficile de définir un rôle social si important pour les fêtes et le rythme qu’elles donnent à la société. Le vocabulaire change aussi. On fait la fête, pour s’amuser, se détendre, pour le loisir. De manière plus fréquente et sans attendre de moments précis et définis. Peut-être sont-elles moins intenses et plus superficielles, comme elles peuvent s’étaler plus longuement, sans sens ou but particulier. Elles sortent du quotidien et permettent de passer le temps, plutôt que de le marquer. Il faut bien distraire les individus après le travail, à défaut de leur donner un sens et un partage continué.