Comme vous avez pu le remarquer depuis la rentrée de septembre, pour cette seconde année d’existence, PluriPol a opté pour des blocs thématiques de trois ou quatre semaines durant lesquelles tous les membres de notre équipe publient un texte sur le sujet du mois, en proposant son poids de vue sur la question. Après un bloc consacré aux votations du 26 septembre dernier et un autre intitulé « état-nation et monde globalisé », nous avons ouvert un bloc dédié aux votations du 28 novembre, soit ce dimanche.
Pour rappel, voici les trois objets soumis au vote le 28 novembre 2021 :
1. Initiative populaire du 7 novembre 2017 «Pour des soins infirmiers forts (initiative sur les soins infirmiers)»
2. Initiative populaire du 26 août 2019 «Désignation des juges fédéraux par tirage au sort (initiative sur la justice)»
3. Modification du 19 mars 2021 de la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de COVID-19) (Loi COVID-19) (Cas de rigueur, assurance-chômage, accueil extra-familial pour enfants, acteurs culturels, manifestations)
Après trois articles abordant chacun l’un de ces trois objets, nous concluons ce bloc avec un éditorial pour reprendre les analyses de notre équipe sur l’ensemble des objets, afin de proposer une pluralité de points de vue sur chacun d’eux et en espérant que cela puisse nourrir votre réflexion dans le choix de vos votes.
Les points de vue d’Antoine Mula
1. Initiative sur les soins infirmiers
Pour cet objet, vous pouvez aller lire son article « Pour la santé des patients et pour la population…« .
2. Initiative sur la justice
Il serait illusoire de penser que la justice peut être indépendante et qu’elle est apartisane : chaque juge évolue dans un univers, dans une pensée différente selon ses origines sociales et économiques, son background culturel ou encore les intérêts qui, plus globalement, lui sont propres. Si l’initiative apporte certains points intéressants, elle crée de plus gros problèmes qu’elle n’en résout. Commençons par les points positifs : instaurer un mandat unique de 12 ans serait une excellente chose, qui éviterait que les juges ne versent dans l’électoralisme et soient terrorisés à l’idée de ne pas se faire réélire au bout de leur premier mandat. De plus, si le système électoral actuel est sauvegardé, cette échéance correspondrait à trois cycles de mandats parlementaires, qui marquent généralement un changement radical dans la politique suisse. Passons maintenant aux points négatifs. Si la composition de la commission élisant les juges du Tribunal fédéral n’est pas aussi floue que le prétend les opposants – ses membres sont nommés par le Conseil fédéral -, elle est incroyablement compliquée : en fait, les juges seraient tirés au sort par une commission issue elle-même du Conseil fédéral, issu lui-même du Parlement, issu lui-même des urnes. Un ajout de deux intermédiaires pas forcément utiles et extrêmement opaques, les juges étant ajoutés à la liste des tirés au sort pour des « critères objectifs d’aptitude professionnelle et personnelle à exercer la fonction » de juge fédéral. Voici une chose bien peu claire. Si cette initiative a quelques bonnes idées, elles sont noyées dans le vague. Le parlement pourra cependant s’inspirer des points positifs pour améliorer le système actuel.
3. Loi COVID-19
Pour la seconde fois, la loi COVID est soumise au vote du peuple ce 28 novembre – a priori, cette version devrait être la dernière soumise à référendum avant un moment, les « Amis de la Constitution » et leurs comparses n’ayant pas lancé le référendum sur la version du 1er juillet. Soyons sérieux deux minutes : cette loi ne casse pas trois pattes à un canard et se contente de prolonger le versement des aides aux entreprises, particuliers et personnes précaires durement affectées par la crise sanitaire, avec des délais de versements prolongés à 2022 ou 2023 selon les cas. La seule chose qui cristallise le débat sont les mesures sanitaires et l’utilisation du passe sanitaire. Et devinez quoi ? Ces deux éléments ne font pas partie de la loi en votation. Je veux dire : les modifications du 19 mars 2021 mettent en place une base légale pour un passe sanitaire qui soit, selon les mots de l’article 6a, » être personnel, infalsifiable et, dans le respect de la protection des données, vérifiable ». Aucun alinea de la loi ne précise l’utilisation de ce passe est pour cause : c’est la loi sur les épidémies, acceptée par le peuple et les Cantons en 2013, qui régit ces mesures. Les opposants crient également à l' »appartheid » sanitaire, à la dictature et à la surveillance de masse : ceux-ci étaient beaucoup moins présents et beaucoup moins bruyants lors des votations effectives sur la surveillance de la population – loi sur la surveillance des assurés, mesures policières contre le terrorisme, loi sur le renseignement, etc. -, qui ont pourtant été dénoncées par des organisations non-gouvernementales. S’opposer à la loi covid est idiot, puisqu’au contraire il vaut mieux un passe régi par la collectivité et gratuit plutôt que par des entreprises privées, qui, elles, collectent et revendent nos données privées au meilleur acheteur. Refuser la loi covid ne changera rien aux mesures : elles seront au contraire beaucoup plus restrictives sans le passe, puisque la loi sur les épidémies en vigueur permet au Conseil fédéral de confiner la population. Si le débat sur l’utilisation du passe est nécessaire car il péjore une grande partie de la population précarisée, et notamment des sans-papiers, il est totalement hors-sujet dans le cadre de la loi covid-19 du 19 mars 2021, surtout composée d’aides financières et économiques.
Les points de vue de Charles Mansera
1. Initiative sur les soins infirmiers
Voilà bien une initiative qui profitera certainement de l’actualité pour être acceptée. Un réflexe à si haut niveau qu’il conviendrait de rappeler qu’agir en réaction émotionnelle ou précipitée à des événements d’actualité fait rarement une bonne politique. Si l’on peut dire quelque chose sur ce point, c’est qu’il faut prendre le temps de voter pour le contenu de l’initiative – ou ce qui pourrait en être appliqué, étant donné qu’elle demeure assez générale – et non parce qu’on souhaite poursuivre quelques applaudissements. L’un des arguments principaux contre l’initiative est son centralisme, alors que la santé relève principalement des compétences des cantons. Ce dernier point est exact, même si la Confédération possède déjà certaines responsabilités dans ce domaine, et il est vrai que les hôpitaux étant gérés par les cantons, il serait logique de les laisser s’occuper du personnel s’y trouvant. Toutefois, la crise dans laquelle nous nous trouvons a montré que les difficultés ne variaient pas particulièrement d’un canton à l’autre et que la garantie d’un système de santé efficace et de qualité impacte l’ensemble du pays. Si l’on peut comprendre la volonté de défendre les compétences des cantons, l’argument peut être nuancé. Enfin, il est évident que les soins infirmiers, ainsi que le domaine de la santé et des hôpitaux en général, nécessitent des soutiens et des réformes. A titre d’exemple, les difficultés de recrutement et de durée d’emploi illustrent ces problèmes. Mais pour régler ces questions, il faut reconnaître que cette initiative ne suffira certainement pas et qu’une réflexion plus large doit être développée, qu’un « oui » ou un « non » sorte des urnes.
2. Initiative sur la justice
Pour cet objet, vous pouvez aller lire son article « Tirage au sort des juges, ou la question de leur rapport à la politique« .
3. Loi COVID-19
Mettons-nous d’accord, personne ou presque ne combat les différentes mesures de soutien aux entreprises. Le seul point faisant débat est le certificat covid (et son application). Précisons aussi que les autres points de ce paquet varié pourront être repris dans une autre modification. Concentrons-nous alors sur les arguments entourant le certificat. Certes, le principe d’imposer un élément aux individus dans l’intérêt supérieur de la collectivité peut totalement se défendre. Mais il n’est pas exagéré de demander que de telles mesures soient adaptées, proportionnelles et efficaces – ce dont on peut commencer à douter au vu des situations sanitaires dans les pays donnés en exemple pour la vaccination tels Israël, le Danemark, le Portugal ou Gibraltar. Notons également le peu de recherche sur d’autres voies que le vaccin, vu comme le seul moyen de lutter contre cette crise. Paraît-il aussi qu’entre une personne qui s’oppose à une politique qu’elle conçoit comme dangereuse pour l’égalité et les droits des citoyens et qu’elle considère comme une mauvaise voie pour la société dont elle est membre, et une autre personne qui se vaccine pour pouvoir voyager et faire ses loisirs comme elle l’entend, la première serait égoïste et ne penserait qu’à elle, alors que la seconde serait généreuse et ferait son devoir citoyen ; difficile d’être totalement convaincu. Sinon, les personnes n’ayant pas de certificat et à qui l’on donne moins de possibilités peuvent également être définies par des opinions politiques et croyances – au sens large. Elles sont par exemple plus liées à certains partis et les endroits les moins vaccinés sont plutôt campagnards – et il suffit de voir les résultats de certaines votations pour constater que cette différence géographique peut se traduire en différence d’opinions politiques -, et plus largement, elles n’ont pas forcément confiance dans la politique des autorités et les soutiennent moins. Or, donner plus ou moins de droits à une partie de la population (en tout cas pour les prolétaires n’ayant pas les moyens de choisir de payer les tests) suivant ses accords avec la politique du gouvernement ou ses croyances semble discutable dans une démocratie. De plus, le certificat est mis en place dans le cadre d’une situation de crise dont on ne parvient pas à définir la durée ni les conditions de son terme – taux de vaccination à atteindre, nombre de doses, besoin de vivre avec le virus, exemples de pays déjà cités… Or, un état d’exception dont on ne peut pas définir la fin n’est pas non plus normal dans une démocratie. Ceci étant d’autant plus à surveiller dans un pays qui a déjà connu une utilisation excessive et trop longue de la « clause d’urgence » par son gouvernement et son parlement dans les années 1930-40 ainsi que des pleins pouvoirs du gouvernement pendant et après la guerre – jusqu’à ce que le peuple et les cantons imposent le « retour à la démocratie directe », selon le nom de l’initiative acceptée.
Les points de vue de Gabriel
1. Initiative sur les soins infirmiers
Je reste mitigé face à cette initiative. Le fait qu’elle profitera à la fois de l’actualité et d’un certains ras-le-bol pour passer n’est un secret pour personne. Une mauvaise chose ? Peut-être un mieux plutôt qu’un bien. Des réformes sont à mettre en place et une solution proximale reste meilleure que rien du tout. Si l’initiative se révèle avoir des conséquence délétère pour une raison ou une autre, financièrement ou concernant la centralisation qu’elle amène, cela devrait décourager un vote qui continuerait dans cette direction. Et bien sûr si les problèmes que l’initiative cherche à adresser le sont convenablement nous aurons tous de quoi nous réjouir. Restant dubitatif il semble important de garder un œil sur le futur de cette initiative, sur sa trajectoire, afin de rectifier le tir si cela devient nécessaire. Par chance, nos institutions sont capables d’absorber bon nombres de mauvaises idées avant de s’effondrer et il sera donc toujours temps de faire quelque chose.
2. Initiative sur la justice
Il est difficile de voir quels problèmes cette initiative résous où la solution proposée n’en crée pas de nouveau. Si le système proposé est bon ou ne l’es pas repose sur de fin détails, ici très importants, qui ne sont pas encore mis au clair et qui pourrait faire basculer le positionnement de quiconque d’un côté ou de l’autre pour ce qui est du vote. Ce serait déjà une raison d’écarter cette proposition mais on peut dire plus : pour ce qui est du contenu qui est déjà expliciter on peut constater que les affiliations politique des juges seraient alors davantage dissimulées qu’auparavant. J’aurai tendance à penser qu’en Suisse on préfère savoir à qui on à affaire plutôt que de se leurrer dans un sentiment diffus d’impartialité illusoire. Pour ces raisons, cette initiative devrait être rejetée.
3. Loi COVID-19
Pour cet objet, vous pouvez aller lire son article « Covid : Carotte, bâton et cheval de Troie« .