Source image : logo Netflix.

Soyons honnêtes, je n’ai jamais été un grand amateur du cinéma suisse. Ou même des productions suisses. Et pour cause : le rythme du scenario est à peu près aussi entraînant que l’hymne suisse[1]. Mais bref, on n’est pas là pour parler de ça. Mais résumons : je ne regarde pas spécialement les productions suisses, je ne les trouve pas forcément incroyables, mais je vais voter oui à la modification de la loi sur le cinéma.

 

Le 15 mai prochain, la population suisse se prononcera sur la modification de la Loi sur le cinéma acceptée par le Parlement en septembre dernier. Le principe est simple : les plateformes de streaming et entreprises de ce type devront investir 4% des recettes réalisées en Suisse dans la production nationale. De plus, ces entreprises devront offrir un catalogue comprenant au moins 30% de production européenne. Non seulement c’est réduire l’hégémonie du marché américain en Europe, mais c’est également une obligation dans les pays de l’Union Européenne. Donc ça ne changerait pas l’attractivité de la Suisse pour les productions cinématographiques. Au contraire, cette loi permettrait même de pousser un cinéma suisse plus populaire, alors que le cinéma suisse actuel s’approche beaucoup plus d’un cinéma d’auteur insipide et – paradoxalement – quelconque. À quelques exceptions près évidemment.

 

Contrairement à ce qu’on entend, ce n’est pas une taxe : l’État ne touchera aucune recette directe de cet investissement de 4%. En fait, à part les ultralibéraux vendus au marché américain, pas grand-monde au sein du monde politique ne s’oppose à cette loi : au sein du PLR, la division est visible. Ainsi, si le groupe parlementaire a majoritairement refusé le projet de loi, il est tout de même divisé (24 oui, 12 non et 4 abstentions[2]) ; dans le même genre, le Congrès du PLR Vaud a affirmé son soutien à la loi par 137 oui, 128 non et 17 abstentions[3]. Cependant, il est vrai que l’État sera sollicité en cas de manquement à ces obligations : si au-delà du délai imparti de 4 ans – soit le temps pour la production d’une saison de Doctor Who –, alors une taxe de remplacement sera prélevée. C’est-à-dire que si les plateformes font preuve d’une mauvaise volonté, elles seront punies à hauteur de 4% de leurs revenus. Pas sûr que ça va les faire forcément déguerpir.

 

À l’inverse, on peut penser que cet investissement obligatoire de 4% permettra le développement de séries suisses à succès : à l’image des Netflix britannique et suédois avec respectivement The Crown et Young Royals, qui leur ont permis d’engranger de gros revenus et d’être mis en avant sur tous les catalogues de l’entreprise – quoiqu’il est vrai qu’historiquement, la production audiovisuelle britannique s’est toujours beaucoup mieux exportée que le cinéma suédois. Ceci d’autant plus : le cinéma suédois n’a jamais connu un succès public fulgurant et pourtant, Young Royals a été énormément mise en avant au cours de l’été 2021. On peut espérer que de plus grands moyens donnés dans le cinéma suisse pourra permettre une montée en puissance telle qu’on en a plus connu depuis L’Ordre divin en 2017, récompensé du Prix du public au festival new yorkais du film de Tribeca.

 

Au-delà du succès à espérer pour notre cinématographie nationale, cette loi permettra également des investissements dans ce milieu et un recul de la précarité des acteurs – au sens strict comme figuré – de ce milieu. Par ailleurs, une étude commandée par la Fondation romande pour le cinéma il y a quelques années montre que l’investissement a une répercussion moyenne pour la région – notamment grâce au tourisme – de trois fois l’investissement de base[4]. Donc non seulement ce n’est pas une taxe perçue par un État tant décrié par la droite ultralibérale, mais en plus cet investissement obligatoire peut permettre le développement économique d’une région, ce qui n’est pas vraiment un mal après les deux années compliquées pour le tourisme qui – espérons-le – sont en train de s’achever.

 

Comme bien d’autres en Suisse, le cinéma a besoin d’investissement et de relance. S’il est vrai que cela peut déranger de devoir reposer sur des séries étrangères pour une production locale, il faut tout de même s’accorder sur le fait que plus aucune production – ou presque – n’est tournée entièrement que dans un seul pays avec des acteurs et actrices de ce seul pays. Plus globalement, cibler le marché d’une seule nation ne va pas permettre le développement du cinéma suisse : au contraire, et les américains l’ont bien compris, le meilleur moyen pour développer son profit est de s’implanter à un niveau international. Mais pour cela, il faudra également que le cinéma suisse apprenne à se développer et parler à un plus grand public.

 

C’est ce qu’a réussi Ma vie de Courgette, film franco-suisse ayant réalisé plus de 650 000 entrées en France, succès honnête pour une production principalement suisse, en plus du succès critique : César du meilleur film d’animation en 2017 et Prix Lumières du meilleur film d’animation du Prix Lumières la même année. Le cinéma suisse a du potentiel, que ce soit pour les séries ou les films. Et cette loi permettra, sans nul doute, de développer ce potentiel. On ne détrônera pas les séries DisneyPlus ou les productions britanniques au casting incroyablement qualitatif de Netflix, mais on concurrencera, à notre niveau, l’hégémonie culturelle américaine et on développera un cinéma suisse qui vaille la peine d’être vu. Et qui remémorera les grandes années des Faiseurs de Suisses, qui avait frôlé le million d’entrées en Suisse en 1978.

 

 

[1] CASTELLO-LOPES, David, Pourquoi est-ce que l’hymne suisse n’est pas très bien?, 26 mars 2022, in RTS, https://www.rts.ch/play/tv/emission/52-minutes?id=11511172.

[2] PLR, Non à la révision de la loi sur le cinéma, https://www.plr.ch/campagnes/loi-sur-le-cinema.

[3] 24 HEURES, Le PLR occupe le temps avec les recommandations de vote, 21 mars 2022, 20h12, https://www.24heures.ch/la-strategie-du-deuxieme-tour-se-dessine-ce-soir-947842585485.

[4] CINEFOROM, Etude économique, 21 novembre 2019, https://www.cineforom.ch/etude-economique-ey.

Vous pouvez suivre nos prochains articles en vous abonnant à notre site (sur le côté de la page) ainsi que sur nos réseaux sociaux : Facebook, Twitter et Instagram.

N’hésitez pas à partager nos articles ou à y réagir !

Vous pouvez aussi nous proposer des idées pour nos entretiens ou nos tribunes.