Source image : illustration de bonnets, un-air-de-fetes.com
Alors que cette année extrêmement bizarre qu’est 2021 approche gentiment de sa fin – en concurrence directe avec 2020, tout de même –, et avec elle Noël et le Nouvel An, il est temps de nous pencher sur la signification des fêtes dans nos sociétés. Sans en faire une dissertation longue et indigeste détaillant chaque point du calendrier – saviez-vous que la Saint-Glinglin a lieu le 1er novembre ? –, il est intéressant de se pencher sur l’évolution de la signification des fêtes et leur rapport à notre société, de même que leur évolution récente. Pour le meilleur et pour le pire. Et le tout avec un bonnet rouge à pompon. Chronique probablement la moins politique de toutes celles que j’ai rédigées, on parle quand même de capitalisme à un moment.
Le propre d’une société humaine, c’est sans doute de ponctuer sa vie par des fêtes, aussi variées soient-elles : souvent d’origine religieuse, les fêtes peuvent aussi commémorer des anniversaires – la première année d’un bébé, les trente ans de mariage de vos parents, le passage à l’âge adulte, etc. – ou s’enorgueillir de passer un cap tous ensemble, à l’image du Nouvel an ou d’un solstice, quoique ce passage-là soit beaucoup moins célébré qu’il y a quelques siècles. Dans l’absolu, les commémorations ont su évoluer au fil des époques, s’adaptant aux changements de mode et de société. Dans la plupart des cas, ces fêtes sont maintenant devenues commerciales, à l’image de Noël, la St-Valentin ou même les fêtes nationales avec les diverses promotions mises en avant par les magasins et supermarchés – il n’y a qu’à compter le nombre d’articles bien rouge avec une croix blanche qui sont soudainement mis en avant une à deux semaines avant le 1er août.
En particulier dans les sociétés occidentalisées, les fêtes sont peu à peu tombées sous le joug du capitalisme : finies les bonnes volontés et l’aide au prochain, il s’agit maintenant de plaire et de faire plaisir de manière éphémère, en offrant le cadeau le plus cher possible – dans la limite du budget et des stocks disponibles –, le plus beau et celui qui prendra par la suite le mieux la poussière au coin d’un meuble. Hommage à tous ces vases beaucoup trop lourds et fragiles nettoyés une fois tous les cinq ans et qui a perdu toute utilité après la première utilisation pour un bouquet trop rapidement fané. En somme, les objets les plus beaux, mais pas forcément les plus marquants sur le long terme, à quelques rares exceptions près. On pourrait se rassurer en se disant que, si c’est effectivement cela pour Noël, alors on pensera à d’autres cadeaux et des attentions pour les anniversaires : une invitation au restaurant ou à un concert, l’achat de places de cinéma pour le dernier film d’action, romantique ou d’auteur, un rencard dans un musée, etc. ; l’essentiel est surtout de créer des souvenirs. Car ce sont eux qui nous font vivre, qui nous font exister au sens sartrien du terme.
La valeur marchande et économique a ainsi supplanté la valeur morale, spirituelle – pas nécessairement dans le sens de la religion – de ces fêtes ; tout du moins de Noël. Cependant, cette critique peut également s’adresser à la Saint-Valentin, fête créée au XIVe siècle et destinée aux amoureux avec l’achat de chocolats, de bouquets de roses et de petites attentions qui, sinon, sont absentes le reste de l’année. L’idée est louable mais elle peut devenir gênante et malsaine : on pose la question de savoir si on doit prouver son amour à la personne qu’on aime ou pas, question très large et fortement sujette à débat. De plus, cette pratique de la Saint-Valentin implique aussi, de manière probablement non consciente pour la plupart des couples, qu’il n’y a pas besoin de prouver son amour le reste de l’année ; que le cahier des charges du couple est rempli en offrant un bouquet de roses un jour par an et ensuite tant pis, on se revoit le 14 février prochain. Extrêmement romantique, donc.
On voit un tournant dans la plupart des fêtes à partir du XIXe siècle et l’avènement du capitalisme en Occident : pour que l’économie puisse tourner à plein pot, il faut consommer et produire toujours plus ; et donc vendre les biens et produits au pris le plus bas et en nombre pour que le système fonctionne. La tournure qu’ont prises les fêtes au cours des XIXe et XXe siècles raconte surtout l’histoire d’une société désenchantée qui ne voit plus qu’à court terme, voire à très court terme. Et cela se ressent dans sa manière d’aborder les fêtes, dans sa manière de commémorer des événements, qu’ils soient tristes ou joyeux. Dans l’ensemble, pas sûr que ça soit une bonne évolution de la société et cela devrait nous encourager à combattre d’autant plus le capitalisme qui est responsable d’une bonne partie de ces problèmes-là et de bien d’autres.
« Emotions ! Love ! Pride ! Hate ! Fear ! Have you no emotions, sir ? ». Cette réplique de Doctor Who[1] illustre assez bien l’ensemble de ce qui a été dit au-dessus. Si les émotions restent en partie, elles sont consommées dans l’immédiateté et non plus tirée sur le long terme. Voici une chose à laquelle nous devrions faire attention, à un état ancien auquel on devrait aspirer à revenir. L’une des rares choses pour lesquelles on peut dire sans trop d’hypocrisie que « c’était mieux avant ». Retrouver un monde inspirant, plein de douceurs, d’attention et d’aide au prochain et penser sur le long terme.
Joyeux Noël !
[1] The Tenth Planet, épisode 2, 1966.