Puisqu’une bonne part de la campagne contre l’initiative sur « l’interdiction de se dissimuler le visage » se concentre sur l’accusation d’islamophobie, penchons-nous sur cet argument.
Avant d’aller plus loin, notons tout de même que le terme d’« islamophobie » est assez mal choisi, pouvant laisser entendre que le problème vient de la critique d’une idée ou d’une croyance plutôt que de la détestation des personnes – en l’occurrence anti-musulmane [1]. Ce terme est aussi employé dans certains cas qui devraient nous faire réfléchir sur son usage, comme dans les accusations internationales d’Erdogan [2], ou, en France, contre Charlie Hebdo – ou contre certains professeurs. Comme quoi, visiblement, certains fondamentalistes ont bien compris comment utiliser la logique des droits et de l’accusation de racisme pour faire progresser leur idéologie et empêcher toute critique.
Mais revenons à notre initiative. L’enjeu sécuritaire est entre autres mis en avant par les initiants ; comme si un terroriste pouvait se cacher sous une burqa [3], ou qu’un pays africain en venait à l’interdire, car utilisée pour dissimuler des explosifs [4]… oh pardon ! Je viens de raconter des histoires vraies. Plus sérieusement, la nécessité, pour un contrôle d’identité, de voir le visage est tellement évidente que le contre-projet indirect la reconnaît. Toutefois, le besoin de créer une nouvelle loi simplement pour assurer qu’un policier ne doive pas faire un contrôle d’identité face à une burqa [5] (particulier, pour un simple vêtement, de ne pas pouvoir le retirer, non ?), et plus généralement que les lois religieuses doivent se plier aux lois civiles, mériterait que l’on s’y intéresse davantage.
Concernant l’accusation d’islamophobie, notons tout de même que l’article constitutionnel est rédigé de manière large et s’appliquera aussi pour d’autres religions et des cas non-religieux, et non pour un seul cas.
Mais, j’aurais une question : le Maroc est-il un pays islamophobe ? Je précise que l’islam y est la religion de l’État et que le roi, en tant que commandeur des croyants, doit veiller à son respect [6]. Vous ne voyez pas le rapport ? Il se trouve que le Maroc a interdit la confection et la vente de burqa, même si elle y était peu répandue [7]. Les débats qui y ont eu lieu, entre les religieux (particulièrement les salafistes) et les mouvements féministes [8], notamment, ne sont pas sans intérêts [9]. Alors, islamophobe ce pays musulman ?
Ou alors, pouvons-nous reconnaître une part symbolique ou de message à certains objets (un drapeau du IIIème Reich n’est-il aussi qu’un bout de tissu ou doit-on reconnaître qu’il peut y avoir un message et une part symbolique importante aux objets ?), et que c’est un symbole représentant des mœurs, une vision du monde – pas spécialement celle de notre société actuelle [10] –, propre à certains courants de l’islam et leurs pratiques particulières, et non pas de l’islam en général. En parlant religion, si des femmes décidaient de suivre les règles les plus strictes de la foi catholique, les mêmes les encourageraient-ils dans ce libre choix, ou critiqueraient-ils le retour de ces valeurs et l’aliénation de ces femmes ?
Bien sûr, prétendre que ce simple article mettrait fin « à l’extrémisme » serait plus que simpliste. Et plusieurs éléments soulevés précédemment nécessiteraient de parler de culture, d’identité, voire d’assimilation. Ce dont une bonne part de la gauche est incapable car à ce moment de la phrase, elle aura déjà crié au racisme. Tandis qu’une bonne part de la droite sera capable de le faire… jusqu’à ce que cela rentre en contradiction avec des intérêts financiers. Ce qui n’aide ni le débat, ni son niveau.
[1] Petite introduction intéressante de 5:56 à 18:50 sur le concept d’islamophobie : https://www.youtube.com/watch?v=olUzBYvprIs
[2] Exemple de 5:05 à 10:10 : https://www.youtube.com/watch?v=HnHl98eZ3sI&t=381s
[4] https://www.20min.ch/fr/story/le-tchad-interdit-la-burqa-pour-raisons-de-securite-180755690473
[5] Je précise que, pas simplicité de langage, je mentionne avant tout la burqa sans citer le niqab ou autres pourtant également concernés, veuillez me pardonner cette simplification. En ce qui concerne l’exemple marocain évoqué plus bas, je vous laisse lire les sources pour constater un débat dans le pays sur ce qui était exactement couvert par la circulaire.
[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Religion_au_Maroc
[7]https://www.letemps.ch/monde/securite-maroc-interdit-vente-burqa
[8] Je profite, un peu honteusement, de l’évocation des féministes marocaines pour glisser ce petit lien vers un court article d’une féministe française adressé à celles portant la burqa volontairement : https://external-content.duckduckgo.com/iu/?u=https%3A%2F%2Famour-humour.com%2Fimages%2Fbadinter.jpg&f=1&nofb=1
[9] On retrouve par exemple, chez les salafistes, l’argument du droit à s’habiller comme on le veut :
[10] Un petit exemple, de 6:29 à 7:04, sur ce que certains courants pensent d’une femme sortant sans hijab : https://www.youtube.com/watch?v=HoCRltAVu0U