Voici 18 mois, le premier cas de SARS-CoV-2 était détecté sur un humain dans la région de Hubei, en Chine. Déclaré comme une maladie pandémique par l’Organisation Mondiale de la Santé le 11 mars 2020, le covid-19 aura radicalement changé nos vies, de manière inédite depuis la grippe espagnole de 1918. Très rapidement, les laboratoires se lancent dans le séquençage du génome du virus afin d’en connaître les propriétés et développer des réponses médicales permettant d’en arrêter la propagation : on parle rapidement de vaccin, dont les premiers sont développés et testés à la fin du premier semestre de 2020. Problème, on ne connaît pas le seuil d’immunité collective nécessaire pour sortir de cette crise : il faut donc vacciner autant de monde que possible. Apparaît alors l’idée d’un passeport ou certificat vaccinal qui permettrait de revenir à la vie normale.

 

L’une des premières caractéristiques connues de cette maladie est sa transmissibilité : très contagieuse, elle se plaît particulièrement dans les régions très peuplées et passe aisément d’un hôte à l’autre, multipliant par la même occasion les risques de mutation et de complication et donc l’apparition de variants de plus en plus résistants. De nombreux pays – européens notamment, mais pas seulement – ont choisi de fermer temporairement, au printemps 2020, les lieux pouvant accueillir beaucoup de monde et induire un brassage de population, ainsi que de limiter les rassemblements à un nombre tout juste suffisant pour préserver le strict minimum de vie sociale. Le but de la manœuvre est très simple : ralentir suffisamment la propagation du virus pour éviter une surcharge des hôpitaux face à cette maladie inconnue et des morts inutiles.

 

Alors que l’Europe se relève durant l’été de la première vague printanière – qui apparaît minime, ridicule a posteriori –, elle est frappée de plein fouet, fin septembre, par une deuxième vague qui atteint des proportions inattendues. En particulier en Suisse, la gestion de la pandémie par le Conseil fédéral est particulièrement critiquée en raison de sa lenteur à prendre des décisions et à protéger sa population la plus fragilisée. On passe dans la Confédération le cap des 5000 morts le weekend des 5 et 6 décembre 2020 [1]. Incontrôlée en octobre 2020, le cap des 10 000 nouveaux cas journaliers est franchi les 26 octobre et 2 novembre avant de descendre lentement jusqu’à février 2021 et stagner entre 1000 et 2000 cas depuis.

 

La mise sur pied des vaccins et leurs premières injections en décembre 2020 – en Suisse toujours – a relancé un peu d’espoir dans la population : quoique la campagne de vaccination fût lente au début et réservée aux personnes les plus fragiles du pays, elle s’accélère à partir de l’augmentation de la quantité de vaccins disponibles et ce, malgré des couacs cantonaux et des retards dans les livraisons. La stratégie de l’OFSP et des Cantons est alors très simple : s’assurer la diminution de la transmission du virus et la protection des plus fragiles en vaccinant autant de monde que possible. Si la vaccination est sur base volontaire, nul doute que les organismes de santé publique espèrent qu’une très large majorité de la population voudra se faire vacciner à coup de publicité ciblée et de conscientisation du public. Cette stratégie semble pour l’heure fonctionner : il atteint les 73% est en augmentation depuis le début de la campagne [2].

 

Le problème principal, c’est qu’on ne sait pas quand l’immunité collective sera atteinte, à quel stade de la vaccination. Fait surprenant, on remarque déjà que la 3e vague annoncée par l’OFSP, si elle a eu lieu, a été beaucoup moins importante que prévue. Sont-ce les effets de la vaccination qui se font déjà ressentir, alors que seule 12.5% de la population est totalement vaccinée ? Possiblement, c’est une chose difficile à dire. C’est l’une des rares statistiques médicales sur laquelle les scientifiques naviguent à vue et espèrent qu’elle sera plus basse qu’attendue. Il est aussi possible que le nombre de personnes asymptomatiques non-détectés soit très important, ce qui rapprochait le territoire helvétique de l’immunité collective, sans bien évidemment l’atteindre.

 

On l’a dit, la campagne de vaccination se lance sur le biais de la conviction. Mais si on s’aperçoit qu’il faut beaucoup plus de monde vacciné que prévu – et notamment les enfants –, alors l’incitation par le passeport ou certificat vaccinal pourrait être la meilleure solution, la plus efficace : les personnes indécises éligibles devront se faire vacciner ou s’assurer qu’elles ne sont pas porteuses de la maladie. Ainsi, le certificat vaccinal en cours d’étude depuis ce mois de mars permettrait à l’OFSP de réussir sa stratégie : vacciner toutes les personnes indécises, protéger les personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons médicales et forcer les autres à se mettre au diapason sans les frustrer pour autant tout en vérifiant qu’elles ne contagient pas les plus fragiles.

 

La stratégie de l’OFSP et des gouvernements ayant pris des mesures contre le covid-19 peuvent se résumer en une phrase : protéger les plus fragiles. C’est ce que permettra de faire la vaccination, c’est ce qu’accentuera le passeport ou certificat covid-19. En principe, nous possédons déjà tous un certificat vaccinal que nous sommes obligés de tenir à jour pour voyager dans certains pays, notamment d’Asie du sud-est. Dans le fond, ce certificat-là ne changerait pas grand-chose, sinon constituer en un bout de papier supplémentaire. Il y a une chose évidente, qui pourrait appeler à la vigilance : le cas des personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner. Il faut à tout prix que le certificat covid-19 soit pensé également pour ces personnes-là, sinon il instaurera une vraie discrimination – inacceptable – sur des personnes très souvent précarisées de base, et qu’il soit limité dans le temps : une fois l’épidémie disparue, il ne sera plus d’aucune utilité.

 

Dans le cadre d’une pandémie, il ne saurait exister de « liberté individuelle » quant à des restrictions sanitaires – si tant est que celles-ci soient efficaces et limitées dans ce cadre-là – ou des obligations de vaccinations. Certes, les vaccins ont été développée en un temps record, mais sur des bases que l’on connaît depuis de nombreuses années : en réalité, il existerait plus de 5000 types de coronavirus [3] et une première épidémie de coronavirus/SARS a eu lieu entre 2002 et 2004, qu’on a pu bien identifier et cela fait une vingtaine d’années également qu’on développe des vaccins de type ARNm. Il a simplement suffi de combiner les deux ; en outre, l’efficacité des vaccins s’est révélée plus grande lors de vaccinations de grande échelle qu’en laboratoire. En Suisse, trois vaccins sont autorisés, mais seuls deux – Moderna et Pfizer – sont administrés, qui sont les plus sûrs du marché. Si le scepticisme était évidemment de mise, les rares effets secondaires – se limitant souvent à un mal de bras ou une montée de la température parce que le corps lutte contre la maladie – sont plutôt rassurants sur l’efficacité des vaccins.

 

S’il n’existe plus de liberté individuelle propre à des mesures sanitaires adéquates, il existe en revanche une responsabilité collective : vaccinons-nous pour les autres, même si nous ne sommes pas à risque. Une personne immunisée est une personne qui ne risque plus de faire muter la maladie et aggraver la situation encore plus. Et elle protège en plus les personnes qui ne peuvent se faire vacciner. Parce que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, comme l’a probablement dit John Stuart Mill, restreindre un peu de liberté individuelle permettra de (re)gagner une liberté collective. La vaccination et son obligation déguisée sont un mal individuel nécessaire pour un bien collectif.

 

 

[1] https://www.letemps.ch/monde/plus-5000-deces-suisse-debut-lepidemie-legere-augmentation-nombre-cas-weekend-reouverture.

[2] https://www.lenouvelliste.ch/dossiers/coronavirus/articles/coronavirus-pres-de-3-suisses-sur-4-disent-vouloir-etre-vaccines-1071840.

[3] https://www.youtube.com/watch?v=8_bOhZd6ieM.