Source image : Alfred Bramtot, Un bureau de vote en 1891.
Le canton de Vaud est actuellement en pleine période électorale, par le renouvellement du Grand Conseil – le législatif – et du Conseil d’État – son exécutif. Cette occasion est parfaite pour se plonger sur la définition des systèmes électoraux et leurs influences, ainsi que certaines problématiques ou questions concernant leur avenir.
Un mode de scrutin est l’ensemble des règles et institutions par lesquelles les voix des électeurs sont transformées en sièges à occuper par des candidats à des mandats électifs. Le but étant de représenter l’électorat au sein des institutions politiques.
Le système électoral définit les règles du jeu de la compétition pour obtenir des élus et les moyens de sélection des représentants. Il change ainsi les perceptions et les stratégies des acteurs politiques. Il peut aussi influencer le nombre de partis, leurs relations et le fonctionnement du système politique.
Les systèmes électoraux existent sous de nombreuses formes. Nous nous concentrerons sur les familles principales et les plus répandues. Tous les effets décrits seront des tendances, pouvant être accentuées ou annulées par la culture politique, les institutions ou d’autres éléments.
Le premier type est le scrutin majoritaire. Dans celui-ci, les candidats ayant obtenus la majorité des suffrages, ou le plus grand nombre, sont élus. C’est le système le plus simple, même si nous reviendrons sur certaines variations. Son but est de dégager une majorité gouvernementale stable. Il peut facilement tendre vers une personnalisation du scrutin et favorise plus facilement un attachement local des candidats. Il augmente cependant le risque de vote utile pour le candidat ayant plus de chance de gagner même si ses idées sont moins proches de celles de l’électeur ou qui peut battre un candidat détesté. Ce système est utilisé pour le parlement britannique ou, avec un suffrage indirect, pour l’élection présidentielle américaine.
Dans des circonscriptions uninominales à un seul tour, le premier remporte le siège, même s’il n’a qu’une majorité relative – le plus grand nombre de voix mais pas une majorité absolue (50%+1).
Selon les lois de Duverger – politologue français qui a particulièrement travaillé ces questions –, un tel système favorise le bipartisme et l’alternance de ces deux partis – ce qui favorise la compétition au sein du système politique. Les partis ont tendance à se rapprocher du centre – les électeurs plus « extrêmes », chaque côté, n’auront de toute façon pas d’autre choix que de voter pour le parti le plus proche d’eux. Les électeurs ont tendance à voter utile en choisissant le candidat le moins éloigné de leurs positions qui a plus de chances d’être élu. Les partis ne seront pas encouragés à investir dans des alternatives qui n’auraient aucune chance d’avoir suffisamment de votes – toutefois la diversité existe dans chacun des deux partis principaux. Si ce système est simple, transparent et créateur de gouvernements stables et efficaces, il gaspille de nombreux votes qui ne servent finalement à rien dans les nominations d’élus, limite la représentation des points de vue et exclut les petits partis ou les nouvelles forces politiques qui peinent à se faire une place.
Un scrutin majoritaire peut aussi avoir deux tours. À ce moment, la majorité absolue est nécessaire pour être élu au premier tour. Si personne ne l’obtient – ou pas suffisamment de candidats – un second tour est organisé où la majorité relative est suffisante. Des règles existent généralement concernant le nombre de votes nécessaires au premier tour pour se maintenir au second. Ce système est utilisé pour la présidentielle et les législatives françaises, ainsi que pour le Conseil des États ou le Conseil d’État vaudois (et de la plupart des exécutifs cantonaux).
Dans ce type de système, les électeurs auront plus tendance à choisir le candidat le plus proche d’eux au premier tour, puis, s’il n’est pas au second tour, à éliminer le candidat leur plaisant le moins. Le vote utile peut toutefois exister au premier tour pour faire passer un candidat au second tour. Selon Duverger, ce système tend à la création d’une logique de compétition via une bipolarisation du système politique, mais maintient de multiples partis liés entre eux. Les coalitions entre partis sont facilitées par le besoin d’avoir des alliances pour le second tour. Ses autres effets sont similaires à celui d’un système à un tour.
Le vote alternatif est un système plus particulier et plus complexe. Il se déroule dans des circonscriptions uninominales dans lesquels il faut une majorité absolue pour être élu. Les électeurs classent les candidats par ordre de préférence. Le candidat élu est celui qui obtient 50%+1 de première préférence. Si aucun candidat n’obtient ce nombre, on rajoute à chaque candidat le nombre de voix des deuxièmes préférences du dernier candidat. Et ainsi de suite si besoin, jusqu’à ce qu’un candidat ait une majorité absolue. Ce système est notamment utilisé en Australie.
Ce système veut éviter les votes inutiles et que le vainqueur n’ait qu’une minorité de soutien réelle dans la circonscription. Il est normalement plus ouvert aux petits et nouveaux partis. Toutefois, le comptage est complexe et ainsi moins transparent. Le vote utile peut toujours exister dans le choix du classement des préférences, qui peut lui-même être très complexe à établir pour les électeurs.
Autre grande famille de systèmes électoraux : le scrutin proportionnel. Comme son nom l’indique, dans un système proportionnel, les listes de candidats obtiennent des sièges en proportion de leur nombre de suffrages. La répartition est issue d’un calcul à l’aide d’un quotient électoral et de choix de certaines règles pour les derniers sièges – le plus fort reste ou la plus forte moyenne – que nous n’étudierons pas ici. Le scrutin se fait forcément via des listes de candidats et en un seul tour, dans une circonscription contenant plusieurs sièges à pourvoir. Ce système est utilisé pour le Conseil national ou la plupart des parlements cantonaux et communaux.
Le territoire peut être ou non divisé en circonscriptions – ce qui se passe pour le Conseil national entre les cantons ou pour le Grand Conseil vaudois entre les arrondissements. Ceci permet de garantir des élus pour chaque région du territoire, mais limite les possibilités de vote pour chaque électeur individuel et ne lui offre pas le même nombre de suffrages en fonction du nombre de sièges dans la circonscription.
Des variations peuvent exister suivant les cas. Des listes de candidats modifiables ou non par les électeurs (en changeant l’ordre des candidats, en panachant, biffant ou cumulant). Elles peuvent ou non s’apparenter entre elles et un quorum peut être exigé pour obtenir des sièges.
Le but de ce type de scrutin est de représenter la diversité d’opinions de la société, de garantir que chacun, ou chaque groupe, puisse avoir une représentation de ses idées. Il souhaite ainsi également favoriser le vote de conviction face au vote utile et éviter que des votes ne servent à rien. Il est globalement plus ouvert aux nouveaux partis ainsi qu’aux petits partis, ce qui lui permet de mieux s’adapter aux changements traversant la société. Il encourage les coalitions et les compromis, car aucun parti ne détient une majorité à lui seul dans la quasi-totalité des cas. Le côté négatif de cette description est qu’il encourage la fragmentation des forces politiques et peut créer des blocages si aucune majorité ne se dégage – nous voyons ainsi dans plusieurs pays européens voisins de grandes négociations pour former un gouvernement après les élections. Les coalitions rendent également plus difficile de définir des responsabilités dans les politiques suivies. Il diminue la personnalisation mais crée une plus grande dépendance des candidats au parti et à son programme – ils ne sont pas élus pour eux-même mais parce que membre d’une liste où ils ont été placés par le parti. Ce système complique aussi le choix des candidats pour leurs positions personnelles ou les sous-branches du parti qu’ils représentent. Duverger voyait dans ce système la tendance à un système stable de partis multiples, fragmentés et indépendants.
Dans tous les systèmes électoraux, la question du lieu de vote – via généralement le lieu de résidence – pose des questions. Le fait d’être dans une circonscription plutôt qu’une autre peut donner le droit de voter pour plus de candidats et faire peser plus ou moins le choix individuel de chaque électeur. Ce dernier point peut entrer en contradiction avec le principe démocratique de l’égalité des voix entre tous les citoyens. Le découpage des circonscriptions peut également être le lieu d’abus de certains partis ou personnes qui les créent pour s’assurer des majorités sur certains territoires en traçant des limites regroupant leur électorat habituel – cette pratique, poussée à l’extrême, est appelée du « Gerrymandering », en référence à un sénateur américain spécialiste de la discipline. Dans ce cas, les limites territoriales sont ajustées aux préférences politiques des électeurs, au lieu de garantir la représentation politique de ses habitants.
D’autres éléments méritent d’être relevés. D’abord, comme nous l’avons vu, le vote utile peut prendre une place plus ou moins importante et poser un problème de représentativité ainsi que de proximité entre les électeurs et les élus. Si un candidat n’est élu que pour en éviter un autre, ou par proximité relative plutôt que pleine adhésion, sa légitimité peut facilement être remise en cause et sa politique recevra aussi rapidement une forte opposition.
Ensuite, les partis politiques jouent souvent un rôle important dans les campagnes électorales et la sélection des candidats – et plus tard dans les votes au parlement via la discipline de groupe parlementaire. Sans aller jusqu’à la critique de Simone Weil sur les partis politiques [A], nous pouvons nous demander si les partis politiques, qui sont certes utiles pour réunir des gens similaires au point de vue idéologique, n’occupent pas une place trop importante.
De plus, différents éléments peuvent influencer les élections. D’abord les sondages, dont les résultats ne sont pas toujours précis et l’utilité discutable – encourageant surtout les commentaires au lieu du fond ainsi que le vote utile [B]. Autre influence, les médias, par les temps de parole, la manière de présenter les candidats ou le cadrage des différentes thématiques – pendant et avant les élections [C]. Enfin, le financement d’une campagne trie les candidats – se pose alors la question du remboursement des campagnes et de la limite légale des dépenses.
Une question qui revient ces dernières années est celle de la comptabilisation de l’abstention et du vote blanc. Si l’abstention recouvre trop de comportements différents – ceux qui se fichent du sujet, ceux qui ont oublié d’aller voter, etc –, la comptabilisation du vote blanc se défend déjà davantage comme il manifeste une volonté de montrer un désaccord (ou une volonté de ne pas choisir, ce qui pourrait compliquer sa prise en compte). Toutefois, sa prise en compte pose de nombreuses questions sur la manière de le prendre en compte et risque d’amener un certain nombre de blocages, car on prend note d’un désaccord avec les possibilités offertes, mais les solutions sont plus difficiles à trouver. Un minimum de bulletins valides par rapport au nombre de membre du corps électoral pour que le scrutin le soit également pourrait peut-être aussi être envisagé à la place du vote blanc.
Plus largement, une question fondamentale à se poser avant de réfléchir à un système électoral est celle de la démocratie représentative. En effet, le besoin de créer des moyens de traduire des suffrages en élus n’apparaît qu’avec les institutions de la démocratie représentative. Dans la démocratie directe, où les citoyens décident directement, les représentants n’existent pas. Notons que le choix dépend en partie de la nécessité, pour un large territoire et un grand nombre de questions à traiter, de disposer d’élus chargés de ce travail – pouvant se concentrer sur ces enjeux et ne nécessitant pas de réunir toute la population. De plus, la représentation nécessite une confiance dans les élus. Un risque existe toutefois toujours d’une divergence de vues entre les citoyens et les élus.
[A] Le Précepteur, « SIMONE WEIL – Pourquoi il faut supprimer les partis politiques » . URL : https://www.youtube.com/watch?v=Pg0qv0kIaKo
[B] Trouble fait, « [Présidentielle 2022] – Acheter les sondages pour acheter l’élection ? ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=_sYBBASI48A
[C] Trouble fait, « [Présidentielle 2022] – Vous allez voter Bolloré ou Arnault ? ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=tVEHOLwR31U