I. De sa définition

 

L’écriture inclusive peut regrouper plusieurs pratiques : la féminisation des noms, la préférence pour des formulations et termes épicènes, l’usage de nouveaux termes mêlant féminin et masculin – « celleux », « iels », etc. –, pour le pluriel l’usage de l’accord de proximité ou sinon des termes masculins et féminins, éventuellement mis ensemble avec un point médian ou autre signe, voire l’usage d’une nouvelle typographie, ainsi que l’utilisation d’un nouveau genre neutre – marqué par un « x » – et jusqu’à la « féminine universelle » – utiliser le féminin au lieu du masculin comme genre neutre et féminiser les mots, souvent en rajoutant un « e », donnant « noues » par exemple.

Toutes ces pratiques, relativement diverses et pas toujours réunies, ont pour but de corriger certaines inégalités et sous-représentation dans la langue entre les hommes et les femmes, ainsi que les autres genres si on utilise le nouveau neutre.

 

II. De son utilisation

 

Avant de poursuivre cet article sur des considérations plus fondamentales, l’utilisation de l’écriture inclusive par ceux qui la promeuve mérite quelques lignes. Car bien que ces derniers réclament un changement d’usage plus large, une modification des règles de français et de son enseignement, il est très aisé de trouver des différences entre personnes l’utilisant ainsi que des incohérences au sein des textes écrits par la même personne.

Il serait trop long et compliqué de tout citer, mais certaines personnes mettent le masculin et le féminin pour le sujet mais pas pour le participe passé qui suit, écrivent les deux genres mais ne lisent à voix haute que le masculin, mettent le féminin pour certains mots mais pas pour tous, les moyens d’abréger les mots diffèrent aussi – é(e)s, é.e.s, é-e-s, éEs, é·e·s, é.es, etc –,… Je ne peux pas tout citer et prouver, mais je ne compte plus le nombre de fois où j’ai trouvé des erreurs ou des incohérences dans des textes écrits en écriture inclusive, ni le nombre de variations. Le féminin est aussi davantage rajouté à l’oral quand il s’entend, ce qui n’est pas logique en terme de règles grammaticales – on dira les Suisses et les Suissesses mais peu de gens diront les Belges et les Belges, professeurs et professeures ou éduqués et éduquées (à l’oral toujours). Ceci créant un écart entre la manière d’écrire et de parler.

À noter également que certaines règles se contredisent. Ainsi, on ne peut pas mettre le masculin et le féminin – les étudiants et les étudiantes sont intéressé.e.s – et en même temps appliquer l’accord de proximité – ce qui donnerait les étudiants et les étudiantes sont intéressées, quant à la version avec les étudiant.e.s, il devient difficile de savoir quel est le dernier mot.

De plus, le cas de la féminisation de mots masculins se produit nettement plus rapidement que celui de la masculinisation de mots féminins – qui a déjà cherché un masculin pour le mot « personne » ? – alors que dans les deux cas le genre grammatical ne correspond pas forcément au genre de la personne concernée, mais cela semble moins dérangeant dans un sens que dans l’autre, étrange pour une mesure devant favoriser l’égalité.

Bref, visiblement, utiliser l’écriture inclusive n’est pas si simple et savoir ce qui doit être fait non plus, ce qui n’est pas des plus étonnant étant donné le nombre de pratiques évoquées plus haut. Mais cela nuance la facilité avec laquelle elle pourrait être mise en place, et l’étrangeté de vouloir que tout le monde adopte une écriture que ses défenseurs peinent à appliquer.

Relevons aussi que ces modifications sont effectuées, parfois par des autorités publiques ou par des professeurs dans des écoles (qui font ainsi passer leurs opinions avant les programmes scolaires), sans que la majorité du peuple se soit prononcé en faveur de ces mesures ou qu’elle se soit mise à les utiliser.

Enfin, il faut quand même signaler que ces modifications, qui ne sont pas des plus esthétiques et agréables à l’oreille, alourdissent le texte et le rallonge parfois de manière assez impressionnante.

 

III. De son caractère inclusif

 

Le principe de base de l’écriture inclusive est d’inclure les femmes dans la langue en employant le genre grammatical féminin. Or les genres grammaticaux des mots ne viennent pas du sexe des personnes – sinon pourquoi « une » chaise mais « un » tabouret ?

De ce que j’ai retenu, à l’origine, les langues indo-européennes connaissaient trois genres : le masculin, le féminin et le neutre. Au fil des évolutions, le neutre a fusionné avec le masculin en français ; langue dans laquelle nous nous sommes mis à utiliser le genre masculin pour parler des hommes, et le genre féminin pour parler des femmes (à noter que l’académie française considère les termes « féminin et masculin » pour désigner les genres grammaticaux comme impropres, elle préconise plutôt de parler de genre marqué et non-marqué). Mais les noms, qui ont un genre qui leur est propre comme évoqué précédemment, s’appliquent souvent sans distinction du sexe de la personne concernée : un ministre ou un écrivain peuvent être des hommes ou des femmes, tout comme une recrue, une victime, ou simplement une personne. Quant au pluriel (les étudiants, les citoyens, etc), le français utilise le masculin-neutre pour désigner ces gens quel que soit leur sexe.

L’écriture inclusive n’inclut donc davantage les femmes que dans la forme, mais pas dans le fond de ce qui est dit. Et encore, seulement si l’on considère que le genre grammatical et le genre d’un individu sont la même chose, ce qui n’est pas le cas. En revanche, cela crée le sentiment que les femmes sont un peu idiotes, incapables de comprendre qu’on parle aussi d’elles si on ne rajoute pas un « e ». Et qui se sentent opprimées si l’on dit « les chaises et les tabourets sont empilés », et non « emplié.e.s ».

Mais l’écriture inclusive crée d’autres problèmes. Car si les personnes hermaphrodites, ou intersexes, et celles ne se reconnaissant ni dans le genre masculin ni dans le genre féminin, sont prises en compte avec la règle du masculin-neutre, lorsque l’on détermine que le genre grammatical masculin ne correspond qu’aux hommes, et le genre grammatical féminin qu’aux femmes, comment désigné les personnes mentionnées auparavant ? Même « personne » pose problème car c’est un nom féminin – à ce propos, si durant cette article vous n’êtes pas choqué par l’emploi de ce terme pour désigner plus que des femmes, c’est qu’employer un mot d’un genre grammatical indépendamment du genre des personnes concernées ne vous pose pas tant de problèmes que ça. La solution proposée pour régler ce problème créé par l’emploi de l’écriture inclusive, consiste à créer un genre grammatical neutre.

Mais si le genre grammatical masculin sert pour les hommes et le féminin pour les femmes, ce ne sont pas que les pronoms qui devront être modifiés. En effet les noms comme « agriculteur » et « agricultrice » ou « auteur » et « auteure » ne désignent que les hommes et les femmes. Il sera donc nécessaire de modifier la terminaison de tous les noms pour créer des terminaisons neutres. Il en sera de même avec les adjectifs, car si les terminaisons comme « -if » ou « -é » désignent des hommes, et celles comme « -ive » ou « -ée » désignent des femmes, il faudra en créer d’autres. Ainsi qu’un article autre que « le » et « la ». Et il faudra laisser ces trois genres, car si le masculin (qui n’a pas été créé pour désigner les hommes) ne peut pas servir pour parler d’autres personnes que les hommes, pourquoi les hommes et les femmes devraient accepter d’être désignés par un genre grammatical neutre, créé pour parler des personnes ne rentrant pas dans les catégories hommes et femmes ?

À la place d’un seul terme pour désigner tout le monde sans distinction de sexe ou de genre, il nous faudra donc trois termes de genres grammaticaux différents pour pouvoir parler de tous. Et plus de trois si des gens ne se reconnaissent dans aucun de ces genres grammaticaux – car qui peut garantir que ces trois genres conviendront à tout le monde pour l’éternité quand on sait que l’idée de créer un genre neutre est très récente ? Tout cela, il faut le rappeler, pour régler le problème de mentionner tout le monde. Chose qui techniquement existait avant que l’on ne change la règle, puisque le masculin-neutre englobe toutes les personnes.

Mais sur le sujet de l’inclusion, il reste la question de l’accès à cette écriture. Car il ne faut pas oublier les dyslexiques pour qui cette dernière ne simplifie pas vraiment le rapport à l’écrit. Et c’est encore plus le cas pour les aveugles, car un texte, une fois mis en écriture inclusive, devient plus difficile à lire pour eux. De quoi douter de son caractère inclusif.

 

IV. De son efficacité

 

Pour juger de l’efficacité de l’écriture inclusive, il est intéressant de se pencher sur d’autres langues que le français. L’anglais ne connaît pas de genres grammaticaux pour les noms, l’allemand possède encore le genre neutre et le pluriel y ressemble davantage au féminin… Les pays parlant ces langues connaissent-ils aussi les problèmes, liés à la condition féminine, dénoncés par les défenseurs de l’écriture inclusive ? Si la réponse est positive, c’est que les règles grammaticales concernant les genres à employer n’ont peut-être pas des conséquences aussi importantes qu’on pourrait le penser. Si les sociétés connaissant des règles grammaticales différentes du français ont des situations comparables concernant l’égalité hommes-femmes, on peut légitimement douter de l’effet révolutionnaire qu’aurait le changement de nos manières langagières.

D’autant qu’historiquement, de nombreuses évolutions et combats féministes se sont déroulés sans avoir recours à l’écriture inclusive. Visiblement cela n’était pas nécessaire. À l’inverse, la formulation des règles grammaticales remises en cause fut, logiquement, énoncée par des gens parlant une langue dans laquelle elles n’existaient pas.

On se retrouve ainsi à modifier profondément la langue pour un résultat qui apparaît plus qu’incertain. Alors que s’engager dans de telles transformations ne devraient pas se faire à la légère.

 

V. De son esprit

 

En plus de ne s’intéresser ni à la beauté de la langue, ni à son côté pratique – qui ne sont pourtant pas des éléments totalement négligeables –, soit l’écriture inclusive est inefficace, soit, si elle fonctionne, cela reviendra à modifier les manières de penser et d’agir des personnes en transformant la langue. Ce qui, dans la littérature, a été très bien illustré par la logique du novlangue de 1984. Alors, certes, les défenseurs de l’écriture inclusive ne s’inspirent pas de l’Océania et n’ont de toute manière pas les moyens actuellement de transformer la langue aussi profondément que l’Angsoc. Toutefois, l’esprit général reste de transformer la langue et ses règles pour des motifs idéologiques et afin de la faire correspondre à des idéaux politiques, dans l’espoir que ces changements participeront à la modification de certaines manières de penser ou d’agir. Je suis peu convaincu par le fait que la langue devrait être le lieu d’affrontement de camps politiques et s’adapter aux désirs de certains groupes qui suivent un agenda politique.

Certains pourraient dire qu’il s’agit de revenir sur des usages plus anciens, datant surtout du Moyen-Âge, pour corriger des règles instaurées ultérieurement – ce qui a un côté assez réactionnaire à vouloir revenir plusieurs siècles en arrière, mais passons sur ce point peu mis en avant. Mais déjà, ce n’est pas parce qu’un groupe de personnes auraient mal fait quelque chose qu’un autre groupe serait légitime pour faire la même chose. Le groupe A a fait ça au groupe B, alors celui-là peut faire de même dans l’autre sens… cela ressemble davantage à de la vengeance qu’à un équilibrage. De plus, la langue médiévale était nettement plus orale et moins codifiée que le français actuel. Codification qui ne doit pas totalement nuire à l’alphabétisation à large échelle et à la communication – car le but d’une écriture, et de la langue, est aussi d’être pratique et compréhensible de manière claire. Ces règles remises en cause fonctionnent bien et sont relativement pratiques, on peut garder ce genre de règle et laisser de côté leurs inventeurs et leurs motivations, que tout le monde avait d’ailleurs oublié.

On peut aussi entendre qu’il est scandaleux d’apprendre aux enfants que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Nous pourrions dire qu’il suffit d’expliquer aux enfants la différence entre genres grammaticaux et sexes des personnes, mais admettons. La formulation de l’enseignement de cette règle pose problème. Eh bien changeons cette formulation ! Disons qu’on accorde au plus court, avec le genre non-marqué, ou renommons le masculin en neutre, que sais-je ! Mais il est inutile de transformer toute la langue pour enlever une phrase des livres de français. S’attaquer simplement à la règle consiste en gros à dire que « les hommes et les femmes sont égaux » est moins égalitaire que « les hommes et les femmes ne sont pas ég.ales.aux » (oui, certaines utilisations pratiques ne sont pas encore très claires…).

 

VI. De ses conséquences

 

En plus de sacrifier l’élégance de la langue, un point peu mis en avant est que si l’ensemble des mesures évoquées au début de cet article sont mises en place, cela transformera tellement la langue qu’après quelques générations d’apprentissage de ces nouvelles règles, il deviendra très difficile de lire en version originale des textes écrits avant ces transformations. Ce qui serait une perte importante, considérant que, notamment grâce à une relative stabilité du français, nous pouvons sans trop de difficultés lire des textes datant de quelques siècles.

Ces transformations mettront aussi en avant les différences de sexe et l’importance de l’appartenance à un certain genre, alors que ces défenseurs expliquent plutôt que le fait d’appartenir à un genre plutôt qu’à un autre n’est pas si essentiel que cela et qu’il ne faudrait pas que la société marque ces différences, créant ainsi une incohérence entre ce qui est souhaité et ce qui est réalisé. Au lieu de considérer les différences comme secondaires (pour se concentrer sur la profession, le statut ou autre), l’écriture inclusive les mets en avant, avec un refus strict d’être simplement désigné par un terme mais de vouloir plier la langue à ses désirs et à son appartenance à un groupe particulier. Pas sûr que cela efface les différences.

Ceci permettra tout de même à nombre de personnes de se donner bonne conscience et une bonne image de féministes à moindre frais, mais sans réellement améliorer le sort de femmes. Cela suffit-il à justifier tout ce qui a été dit jusqu’ici ?