Qu’est-ce qui différencie fondamentalement les structures de nos sociétés occidentales du XXIe siècle et celles des époques médiévales et modernes qui nous ont précédées ? Dans un élan d’optimisme nous pourrions répondre, probablement à raison, la démocratie. En effet, ce n’est un mystère pour personne que, théoriquement, nos démocraties occidentales offrent un pouvoir sans précédents à tous ceux qui correspondent aux exigences requises à l’exercice du droit de vote. Cependant, ce pouvoir semble parfois clairement montrer ses limites, notamment lorsqu’on voit les Britanniques devoir attendre un peu moins de quatre ans pour voir leur vote être finalement pris en compte. Un parallèle semblable peut être fait avec le peuple suisse qui a accepté en 2014 une initiative « contre l’immigration de masse » et doit maintenant se prononcer de nouveau sur une initiative « pour une immigration modérée ». L’existence même d’une seconde initiative de nature si semblable ne démontre-elle pas déjà les problèmes existants dans nos systèmes démocratiques ? Probablement.
D’autre part, pour rebondir sur l’exemple du brexit ou des initiatives suisses sur l’immigration, comment justifier l’imposition de décision si importantes à l’entièreté de la population dudit pays lorsque le pourcentage de votants qui approuvent ces initiatives dépasse péniblement les 50% ? Nous pourrions simplement accepter le fait que la majorité d’un territoire donné doit être écoutée. Cependant, les spécificités régionales sont simplement ignorées puisqu’il est notoire que certaines régions au sein des entités étatiques ont leur particularités (plus rurales, plus urbaines, différences culturelles, etc…) qui les mènent nécessairement à avoir des besoins et des idéaux différents. Ainsi, il est devenu extrêmement commun de voir les campagnes et les villes s’opposer de manière régulière lors de prises de décisions. Les États-Unis sont un exemple plus que parlant lorsque l’on compare la popularité du président Donald Trump dans les Etats plus ruraux du pays avec les grandes mégapoles que sont par exemple New York, les grandes villes californiennes, etc…
Dès lors, si de si grandes différences existent au sein d’une même entité étatique, qu’est-ce qui justifie ces prises de décisions en commun ? Théoriquement, nous pourrions invoquer les aspects économiques qui font que certaines régions dépendent les unes des autres en termes de productions ou autre, mais il est probable que cet argument soit trop abstrait au niveau de l’individu. En effet, ce qui maintient les individus dans un groupe uni n’est autre qu’un ensemble de valeurs partagées qui forgent ensuite une identité commune. Cette identité peut avoir de multiples facettes qui sont reprises afin de construire une identité nationale à part entière qui possède ses propres spécificités. Ce sentiment national peut dès lors justifier le fait qu’une courte majorité prenne des décisions qui vont à l’encontre des aspirations du reste du pays.
Cependant, du moment que l’on admet qu’il y a, au sein d’un même pays, des divergences clivantes d’aspirations et de valeurs, le sentiment national ne repose finalement plus que sur une longue tradition territoriale. Il est dès lors intéressant de se demander si cette tradition a toujours existé et dans le cas contraire, comment les populations se définissaient auparavant.
Nous pouvons faire remonter la genèse des Etats nationaux au Moyen-Âge. En effet, le terme national ne définit finalement que ceux qui ont une naissance commune. Commune dans le sens d’un espace territorial ou linguistique partagé. Cependant, la première attestation du terme de nation nous vient des universités médiévales dans lesquelles les étudiants se regroupaient en communautés dites « nationales ». Pourquoi ce sentiment national n’apparait que dans les universités et pas ailleurs auparavant ? Nous pourrions proposer comme hypothèse le manque de mobilité des populations qui fait que celles-ci ne se définissent pas en termes nationaux, mais plutôt en termes communautaires. En effet, les médiévaux ne possédaient ni nationalité ni sentiment d’appartenance nationale. L’individu se définissait avant tout par son appartenance à telle ou telle paroisse, laquelle définissait son « pays de connaissance ». Les paroisses sont des subdivisions des diocèses, cependant il s’agit de structures qui ne portent en elles aucuns marqueurs d’identités car il s’agit d’entités trop vagues pour cela. En dehors de l’appartenance à la communauté paroissiale que l’on côtoie au moins une fois par semaine lors des messes hebdomadaires et avec laquelle on partage une situation commune et donc probablement certaines aspirations communes, le seul autre marqueur identitaire existant à cette époque est celui de la chrétienté. En effet, la chrétienté latine était le seul autre espace en dehors de la paroisse auquel les médiévaux appartenait. Cet espace est défini avant tout par un ensemble de valeurs chrétiennes qui dans le cadre européen de l’époque sont normalement partagées par tous ses membres.
Nous retrouvons dans ce système d’appartenance en communauté les éléments manquants au bon fonctionnement de notre démocratie : partage de valeurs, cultures et situations semblables et donc des aspirations qui peuvent coexister sans heurts. Cet état de fait soulève plusieurs questions qui concluront cet article. Premièrement, nos entités étatiques sont-elles trop vastes pour promouvoir une véritable unité ? Peut-on imaginer un système de prise de décision plus communautaire et plus local afin de prendre en compte les besoins et les aspirations d’un maximum de gens ? Je ne prétends pas être capable de remplacer un système politique et sociétal qui a fait ses preuves et qui n’a probablement pas connu d’égaux durant notre histoire, mais je me permets de vous laisser avec ces quelques réflexions qui, je l’espère, auront pu vous intéresser.