Texte de Maude Locrien.
L’anarchisme, c’est la lutte pour la Liberté. Or aujourd’hui, la quasi-totalité des mouvements politiques se revendiquent de la liberté et à force, on peine à s’y retrouver. C’est pour cela que je vais prendre la peine de développer un petit peu, après avoir posé quelques postulats qui me semblent importants.
– La liberté est indissociable de l’égalité, ou bien « si une seule personne est opprimée, alors nous ne sommes pas libres ». Concrètement, ça signifie que je considère une vision de la liberté collective, pour aller vers la société la plus libre possible. Il ne s’agit donc pas d’avoir la liberté d’exploiter une ouvrière, ou de ne pas mettre son masque dans les transports en commun. Il s’agit de lutter contre tout type d’oppression systémique.
– L’anarchie n’est pas synonyme de chaos : elle vise une organisation sociétale sans hiérarchie. Les principes d’autodétermination et d’autogestion sont donc centraux dans cette philosophie, et elle s’oppose donc à une vision essentialiste de l’espèce humaine comme étant « foncièrement mauvaise ». Elle considère que l’organisation politique doit être au service de l’ensemble de la communauté, et qu’il est donc cohérent que cette organisation soit mise en place par les individus qui forment cette communauté. En ce point, elle peut être mise en lien avec la démocratie.
– L’anarchie est un idéal. Cela signifie que la lutte anarchiste ne cesse jamais, car un droit n’est jamais complètement acquis. C’est sans doute pour cette raison que les sociétés proprement anarchistes sont si rares et qu’elles ne s’inscrivent pas dans la durée : il s’agit plus d’une aspiration que d’un état.
Il faut tout de même noter que si ces postulats ne sont pas plus nombreux, c’est que l’anarchisme est une notion très large qui regroupe bon nombre de courants de philosophie politique. Je ne peux donc prétendre à l’exhaustivité et je vais donc commencer par présenter ma propre vision de cette philosophie.
Il y a autant d’anarchismes qu’il y a d’anarchistes. C’est probablement le cas avec tous les courants de pensées, mais c’est particulièrement vrai pour celui-ci. Je vais donc parler de « mon » anarchisme et de ma façon de le concevoir.
Mon anarchisme fait partie de ce que j’appelle la « nouvelle vague » de l’anarchisme, parce que j’ai l’impression qu’il y a une rupture entre les valeurs que je partage avec les personnes de mon âge et celles des générations précédentes, beaucoup plus influencées par la lutte des classes, les pionniers de la lutte et l’histoire de la scission avec les communistes qui a formé la première Internationale anarchiste à St-Imier. Évidemment, ce ne sont que des observations que je fais en tant que jeune militante. Je ne sais pas si ce que je dis a été théorisé, mais en tout cas je n’en ai pas la connaissance.
Pour faire court, il me semble que jusque-là, la plupart des militants et militantes anarchistes avait des convictions proches de celles des communistes, bien qu’ils et elles n’étaient pas en phase avec leur perception de l’État et de la notion de « dictature du prolétariat ». La lutte se caractérisait presque exclusivement par son rapport à l’État et au capitalisme. Il s’agissait donc essentiellement de lutte de classes. Des questionnements sur les relations amoureuses et sexuelles ont également été développées en parallèle à cette dimension mais ils étaient beaucoup plus marginaux et discrets.
Pour ma génération, l’anarchisme semble être beaucoup plus intersectionnel, parce qu’il s’oppose à tous les types de domination comme le sexisme, le racisme, le validisme, le spécisme, l’homophobie etc. Évidemment, l’opposition au capitalisme et à l’État comme détenteur de la violence légitime (Max Weber, Le Savant et le Politique) est toujours présente, mais elle s’inscrit dans une multitude d’autres revendications dont l’origine vient souvent de groupes marginalisés.
Ma perception semble donc correspondre à cette deuxième dimension qui questionne les éléments les plus fondamentaux de notre société, que ça aille de l’exploitation des autres animaux aux inégalités économiques, en passant par la distribution genrée des tâches dans le milieu domestique. Bref, la philosophie anarchiste est multiple et mouvante, et elle touche à des sujets qui sont au centre de l’actualité. Pourtant, elle est souvent méconnue et elle est sujette à de nombreux préjugés qu’il s’agit de déconstruire ou d’étoffer.
A propos de l’auteur:
Moi c’est Maude Locrien, je suis étudiante en Science Politique à l’Universtié de Lausanne et militante féministe, antispéciste, anticapitaliste et plus largement anarchiste. Je fréquente les milieux ZADistes quand le temps me le permet, et je suis de près les différents mouvements sociaux qui ont lieu en Suisse romande et en France. Je suis également membre de la Grève du climat et de la Rescapade (une association visant à créer un refuge pour animaux dit « de rente »). J’ai fais ma politisation en fréquentant les milieux alternatifs et par internet. Les lectures m’ayant le plus marquées sont probablement « Le roman de Louise » par Henri Gougaud, « La recomposition des mondes » par Alessandre Pignocchi et « Les sentiments du Prince Charles » de Liv Strömquist.
Pour approfondir
Introduction :
Francis Dupuis-Déri, L’anarchie expliqué à mon père, Montréal, Lux Éditeur, 2018, 232 p.
Isabelle Attard, Comment je suis devenue anarchiste, Seuil-Reporterre, Paris, 2019, 160 p.
Tancrède Ramonet, Ni Dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme de Tancrède Ramonet – version longue – Livre 1 sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=xV4GfHjJAtE [consulté le 07.10.20]
L’école du chat noir (Lorenzo Papace), L’anarchie, c’est pas ce que tu crois sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=U3Rs7Pjd8gM [consulté le 07.10.20]
Noam Chomsky, De l’espoir en l’avenir – propos sur l’anarchisme et le socialisme, éditions Agone, 2001.
Louise Michel : la vierge rouge, scénario de Mary M. Talbot, dessins de Bryan Talbot, La Librairie Vuibert, 2016, 144 p.
Henri Gougaud, Le roman de Louise, édition Albin Michel, 2014, 250p.
Sur le rapport à la violence :
Peter Gelderloos, Comment la non-violence protège l’État : Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux, trad. Nicolas Cazaux et Arthur Fontenay, préf. Francis Dupuis-Déri, Herblay, Éditions Libre, 2018, 235p.
Sur les ZAD :
Alessandro Pignocchi, La recomposition des mondes, Editions Seuil, 2019
Sociologie et anthropologie :
James C. Scott, Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États, La Découverte, 2019
Pierre Clastres, La Société contre l’État, Minuit, 1974
David Graeber, Pour une anthropologie anarchiste, Éditions Lux, 2006
Les classiques :
Joseph Déjacque, À bas les chefs !, Le Libertaire, 1859
Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État, 1882
Pierre Kropotkine, L’Anarchie, sa philosophie, son idéal, 1896
Voltairine de Cleyre, Écrits d’une insoumise, textes présentés par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, Lux, 2018
Pierre-Joseph Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ?, 1840
Louise Michel, Mémoires, Éditions Tribord, 2004. Édition princeps du texte intégral