Mes études universitaires d’anglais m’informent en permanence, me répètent et répètent encore que nos ancêtres et nos traditions étaient et sont encore pourris jusqu’à la moelle.

Il ne faut pas parler des grandes figures de l’histoire et plutôt s’intéresser au Zeitgeist propre à chaque époque, me dit-on d’un côté, puis quelques minutes s’écoulent et on me parle des Grands Rebelles de l’histoire qui se sont dressés contre les organisations de leurs époques, se sont tenus en marge de la société et ressentaient un mal de vivre permanent qu’ils attribuaient, à raison ou à tort, à des causes extérieures. Pas ou peu de contre-exemple ; J’ai vu assez de propagande pour comprendre à qui on essayait de me faire ressembler.

Quand on me parle du passé, c’est pour critiquer le présent d’une façon ou d’une autre et nombreux sont les articles ou cours avec une portée idéologique m’informant entre autres que Christophe Colomb était en fait un monstre et que l’esclavage dans le sud des États-Unis était un fruit de l’idéologie capitaliste naissante. J’écrirai sans doute plus tard sur Christophe Colomb car il y a beaucoup à dire sur les inepties qui circulent à son sujet, mais aujourd’hui je vais vous présenter un argument historique s’opposant à la conception que la tradition libérale capitaliste américaine, le laissez-faire, ait ses racines dans le marchandage d’esclaves et les champs de coton. De nombreux livres défendent cette position mais les arguments semblent souvent ignorer volontairement que d’autres systèmes permettent l’échange de biens pour de l’argent, et que même une forme de troc dans une économie fermée ou sévèrement régulée permettait la vente d’esclave.

Je citerai et traduirai George Fitzhugh, un des plus influents défenseurs de l’esclavage, et son ouvrage « Sociology for the South » de 1854, afin de montrer ici que les défenseurs de l’esclavage étaient loin d’être pour le libre-échange, bien au contraire ils en abhorraient l’idée. Les premières lignes :

« L’économie politique est la science de la société libre. Sa théorie tout comme son histoire démontre cette position. Sa première maxime : Laissez faire* et « Pas trop gouverner » * sont en guerre contre toutes les formes d’esclavage car elles expriment que les individus et les peuples prospèrent davantage quand ils sont le moins gouverner » *en français dans le texte

Fitzhugh était contre cette proposition et défendait à l’inverse des hiérarchies sociales strictes et un ordre social patriarchal où la personne qui possède des esclaves est responsable pour le bien être de ceux-ci. Il portait des propos véhéments contre Adam Smith et David Ricardo et déclarait que ce qu’on appelle aujourd’hui capitalisme est un système qui crée une société égoïste. On ne serait pas en tort de qualifier son analyse du capitalisme d’analyse marxiste car il se servait du concept encore non-nommé de plus-value pour décrire le rapport du travailleur au capitaliste. L’image qu’il peint de la société est terriblement similaire à celle qu’on trouve dans Le Capital (1867) si ce n’est que Marx ne théorisera tout cela que dix ans plus tard. Bien sûr sa « solution » diverge fortement de celle de Marx, au moins en théorie. Car Fitzhugh pensait que « Les esclaves consomment davantage le produit de leur labeur que les laboureurs du Nord » et ainsi était par conséquent mieux traité que les travailleurs du Nord.

Ainsi, bien que nous n’ayons vu qu’un seul auteur, de celui-ci on dégage bien le sentiment anticapitaliste de ceux qui défendaient l’esclavage. Il est triste de voir autant de ferveur dans les tentatives d’attribuer au capitalisme un héritage qu’il n’a pas. Ce n’est pas pour dire qu’il n’y a rien de regrettable dans sa mise en place aujourd’hui ou qu’aucun système social ne doit être mis en place par l’État pour les plus démunis. Cela étant, les principes fondamentaux du libre marché ne me semblent pas mériter pareille animosité. Ces principes apparaissent aujourd’hui au moins fortement intégrés dans nos sociétés humaines les plus prospères pas seulement par tradition mais également car ils ont démontré une capacité inégalée à améliorer les conditions de vies des sociétés qui les ont adoptés.

Sources pour aller plus loin :

https://docsouth.unc.edu/southlit/fitzhughcan/fitzcan.html

https://docsouth.unc.edu/southlit/fitzhughsoc/summary.html